Plus de RCD au tribunal du travail de Namur jusqu’à nouvel ordre

Le 5 mai dernier, Francine Jaspart, vice-présidente du tribunal du travail de Namur et de Dinant et présidente faisant fonction, envoyait une lettre dans laquelle elle annonçait « la décision de fermeture du service de règlement collectif de dettes du tribunal de travail de Namur, à dater de ce 2 mai 2011 ». Cette décision pour le moins surprenante pour un service public, elle la dit motivée par la pénurie structurelle criante de moyens humains et matériels contre laquelle ce service se bat depuis de très nombreux mois.

Comme nous l’a expliqué Francine Jaspart, « au moment du transfert du contentieux du RCD des tribunaux de première instance vers les tribunaux du travail, en 2007, le SPF Justice avait, à Namur, élargi le cadre à un seul greffier et deux employés sans formation particulière, ce qui était nettement insuffisant au regard du nombre de dossiers à traiter, très important sur l’arrondissement de Namur. Au fur et à mesure, la gestion du contentieux du RCD a dû être organisé au détriment des autres services, à la fois par l’affectation de collaborateurs occupés initialement à d’autres tâches que par l’affectation des locaux utilisés pour d’autres fonctions (bibliothèque, bureau réservé aux magistrats du siège et servant de salle d’enquêtes,…). Par ailleurs le tribunal du travail de l’arrondissement est sans greffier en chef depuis mars 2010 à la suite de l’annulation de sa nomination par le Conseil d’État sans avoir été remplacé depuis. Des incapacités de travail en cascade sont à déplorer, ainsi que des décès inopinés et malheureux qui sont également intervenus ces derniers mois au sein du personnel. Aujourd’hui, avec une personne et demie sur les six effectivement affectées aux RCD, il n’est plus possible d’assurer le service ».

Dans sa lettre, la magistrate faisant fonction constate en effet que « le travail fourni par les magistrats en matière de RCD ne peut plus être suivi au jour le jour et un retard considérable a été accumulé au risque d’exposer notre juridiction et donc le SPF Justice à une ou des actions en responsabilité émanant des médiateurs, créanciers, justiciables (…). En conséquence, nous sommes confrontés depuis de nombreux mois et malgré les nombreuses demandes formulées à un manque criant de personnel, ce qui nous contraint, à regret, à prendre cette décision extrême de fermeture. Afin d’apporter aux justiciables la protection que la loi sur le RCD leur assure, seules les requêtes en admissibilité seront reçues et traitées ». Les décisions importantes de gestion (ventes d’immeubles, demandes de libération de sommes pour des problèmes patrimoniaux, de santé,…) ont également été traitées, mais il n’y a plus d’audiences depuis le 2 mai, ni de décisions de taxations des frais et honoraires des médiateurs de dettes.

La justice en burn out ?

En date du 17 mai 2011, soit une dizaine de jours après l’envoi de la lettre de la présidente f.f., une question parlementaire a été posée au ministre de la Justice Stefaan De Clerck par le député Georges Gilkinet (Ecolo), à propos de la situation très difficile vécue au tribunal du travail de Namur, mais aussi à Gand et à Malines, confrontés à « un manque d’effectifs criant, des absences de longue durée pour maladie et à des conflits humains chroniques »1. Le député Gilkinet soulevait la question du bien-fondé du transfert de cette matière vers les tribunaux du travail, à tout le moins sans moyens adaptés. « Le cadre est-il suffisant ? », « Ne devrait-il pas être proportionnel au nombre de dossiers ? » sont des questions assez légitimes qui ont été soumises au Ministre.

Ce dernier y a répondu en mentionnant qu’il était au courant de cette situation à Namur, tout comme des difficultés rencontrées par certaines autres juridictions, à la suite du transfert du règlement collectif de dettes. Stefaan De Clerck a rajouté : « Nous avons cherché des solutions, mais chaque service public doit réaliser, pour 2010 et 2011, des économies en personnel, le non-remplacement constituant une base. » Par ailleurs, le Ministre a défendu l’idée selon laquelle, pour l’organisation judiciaire, il faut remplir les cadres légaux : « Dès que l’analyse en cours de la charge de travail permettra d’obtenir un instrument opérationnel d’évaluation, les cadres pourront être revus. »

Enfin, Stefaan De Clerck a fait état d’un audit du Conseil supérieur de la Justice en cours, lequel a souligné l’urgence de la situation, le manque de personnel évident à Namur, mais aussi la nécessité de mettre en œuvre des procédures en interne pour rationaliser le travail.

Selon Francine Jaspart, « notre décision de fermeture du service a en tout cas attiré l’attention du ministre. Le SPF Justice jusque-là immobile a procédé à la dernière évaluation de deux candidats en lice pour le poste de greffier en chef qui traînait depuis des mois. Cela pourrait mener à une nomination prochaine de ce greffier tant attendu. Mais chat échaudé craint l’eau froide… Il est également prévu l’envoi de deux contractuels temps plein en renfort, mais là aussi nous ne savons pas quand ils pourront arriver et pour combien de temps ils seront affectées au service RCD car il s’agit de contrats de remplacement ».

Un problème plus large

Le 31 mai dernier, la ministre wallonne Eliane Tillieux en charge de l’Action sociale et ayant dans ses compétences les services de médiation de dettes, a écrit au ministre de la Justice pour lui faire part de son inquiétude face aux difficultés du service RCD du tribunal du travail de Namur, mettant l’accent sur les difficultés rencontrées par les ménages wallons à la suite de la crise financière et le nombre croissant de procédures de RCD. Le 8 juin dernier, une manifestation silencieuse rassemblant des représentants de l’Ordre des avocats, des magistrats, des huissiers, des notaires et des travailleurs sociaux s’est tenue devant le palais de justice de Namur, avec pour objectif d’attirer l’attention sur cette situation inédite que la fermeture pure et simple d’un tribunal et la paralysie complète des dossiers de RCD pour ce tribunal.

Cette situation, aigüe à Namur, est-elle en passe de se généraliser à l’ensemble des juridictions du travail ? Le député Gilkinet relevait dans sa question parlementaire (voir ci-dessus) les situations également problématiques de Gand et de Malines, d’autres citent Termonde pour la partie néerlandophone du pays. Nous avons contacté plusieurs magistrats, côté wallon, pour faire le point. À Mons, le juge du travail Christophe Bedoret dresse un constat à peine moins alarmant : « Nous sommes dans le top 3 des arrondissements les plus chauds en matière de RCD pour la partie francophone du pays, avec Liège et Namur. Par rapport à Liège, nous avons moins de dossiers au total, mais bien plus de plans judiciaires, ce qui porte l’arriéré de fixation des audiences à près de deux ans et demi. Chez nous, le RCD représente environ 50% de l’activité du tribunal du travail : un peu moins de 50% des magistrats du travail sont affectés au traitement de ces dossiers, idem pour les greffiers et le personnel administratif, ce qui pose des problèmes pour la gestion des autres contentieux relevant des juridictions du travail pour lequel les retards commencent à s’accumuler, ce qui fait grincer les dents des avocats et des syndicats. La réforme de la loi RCD concernant les plis judiciaires a sans doute permis un ralentissement de l’effet boule de neige, mais celui-ci est toujours bien présent. »

À Charleroi, la situation est un rien moins tendue, notamment en raison du nombre moins important de dossiers RCD qu’à Namur, ce qui étonne d’ailleurs un peu. En effet, selon la présidente du tribunal du travail de Charleroi Dominique Moineaux, « les arrondissements judiciaires ne sont pas tous égaux en matière de RCD : à Charleroi, nous traitons moins de dossiers qu’à Namur ou Liège. Or la population de Charleroi n’est pas vraiment plus favorisée sur le plan financier. Certaines explications sont avancées, mais n’expliquent pas tout, comme le fait que les CPAS et les asbl pratiquant la médiation de dettes font davantage de médiation amiable hors procédure RCD ou encore le fait que les tribunaux de première instance (les juges des saisies) aient été plus stricts dans le traitement des requêtes en admissibilité. Nous avons aussi été vigilants à mobiliser dès 2007 quatre magistrats sur ces dossiers RCD. Dès l’arrivée en 2008 des dossiers en provenance des juges des saisies, nous avons veillé à les examiner un à un afin de les traiter sans retard et à les encoder. Cela étant, nous voyons chez nous aussi les délais de fixation qui commencent à s’allonger (près d’un an), malgré la mobilisation de près de six magistrats occupés partiellement au contentieux RCD et la tenue de six audiences par mois, qui devraient passer à sept en septembre. Il est clair que l’effet retard de la crise financière sur le nombre de procédures en RCD bat son plein. À Charleroi, on avoisine aujourd’hui les 90 nouveaux dossiers par mois et cela, le ministre de la Justice ne peut l’ignorer ».

Nathalie Cobbaut

Joël Hubin, premier président de la cour du travail de Liège : « Qu’attend-on pour intervenir ? »

Premier président près la Cour du travail de Liège, dont dépend le tribunal du travail de Namur, Joël Hubin a évidemment suivi de très près la situation du service RCD de ce tribunal. « Déjà, en 2008, lors du transfert des dossiers en cours en provenance des juges des saisies, il y avait eu un transfert d’un arriéré important qu’il n’a pas été possible de résorber. Le manque de personnel, les incapacités de travail, l’annulation de la nomination du greffier en chef après cinq années, des décès survenus dans l’équipe, tout cela a contribué à l’impossibilité de faire tourner ce service et à la décision de fermeture. Mais avant de prendre cette décision, j’avais à maintes reprises averti le ministre des difficultés. Fallait-il attendre le décès de deux membres du personnel pour intervenir ? L’audit du Conseil supérieur de la justice parle clairement de manque de personnel et de burn out. L’analyse demandée au département Justice sur la charge psycho-sociale pour Namur lie les dysfonctionnements au déficit du cadre, à un problème de gestion du personnel et au poids de la procédure RCD. »

Aujourd’hui les choses semblent évoluer : un greffier jusqu’ici en maladie revient, la nomination d’un greffier en chef devrait intervenir très prochainement et deux contractuels engagés dans des contrats de remplacement devraient nous être envoyés. Sur cette base, Joël Hubin a mis au point un plan d’attaque avec sept audiences RCD par mois à partir de septembre (quatre pour résorber l’arriéré, deux pour les affaires neuves et une supplémentaire facultative en fonction des nouveaux dossiers).

Pourtant, le premier président de la cour du travail de Liège n’est pas optimiste quant à la situation générale dans les greffes des tribunaux du travail : « J’ai demandé au Conseil supérieur de la justice d’effectuer un audit général sur les problèmes d’encadrement et les moyens nécessaires pour assurer le travail des greffes des tribunaux du travail. J’ai également signalé le problème à l’Ordre des barreaux francophones et germanophones. J’ai insisté auprès de la Conférence permanente des chefs de corps, toutes juridictions confondues. Il se trouve que la situation est critique partout. Il faut dire que les promesses faites par le législateur de fournir une informatique adaptée pour le traitement des dossiers RCD qui est très lourd sur le plan administratif, n’ont pas été tenues. L’adaptation des effectifs s’est faite au compte-gouttes et il n’a absolument pas été tenu compte de l’évolution du nombre de demandes de RCD qui est en augmentation importante depuis la crise financière. À Liège, par exemple, où les nouvelles demandes de RCD avoisinent les 150 dossiers par mois, nous surnageons grâce à la mise au point par un magistrat d’un logiciel différent de celui fourni par le SPF Justice. Ce logiciel bien plus performant que le logiciel ATTR (A Titre TRansitoire ?, ndlr) nous fait gagner un temps précieux car les données des RCD sont directement implémentées dans les pièces et permet la sortie d’actes essentiels à la procédure, complétés via le programme. Cela décharge le greffe d’un travail important. Ce logiciel, nous l’avons proposé au SPF Justice afin qu’il puisse servir de base pour retravailler l’existant. Jusqu’ici pas de réaction ».

Joël Hubin ne néglige pas non plus la nécessité de travailler sur des bonnes pratiques à mutualiser entre juridictions du travail, pour rationaliser le travail au maximum, avec un travail sur l’articulation entre les juges, les greffiers et les médiateurs, une meilleure répartition et une simplification des tâches.

1 Compte-rendu analytique du mardi 17 mai 2011, Commission de la Justice, Chambre des Représentants, 2ème session de la 53ème législature, p.29-30.