RCD: Attention jurisprudence fraîche! (avril-mai-juin 2019)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

Cour du travail de Liège (5ech. – division Liège), 15 janvier 2019 (RG 2018/AL/667)

La cour confirme le jugement du tribunal du travail qui déclare non fondé le retour à meilleure fortune de la requérante au motif que la somme héritée n’est pas assez importante pour permettre à celle-ci d’améliorer fondamentalement sa situation financière.

La requérante a été admise à la procédure de règlement collectif de dettes le 11 décembre 2012 et a bénéficié d’une remise totale de dettes (article 1675/13bisCJ) avec mesures d’accompagnement par jugement du 24 juin 2014.

Le 18 juin 2018, le médiateur de dettes demande une réouverture des débats. En effet, la mère de la requérante étant décédée, celle-ci hérite d’une somme de 10.817,09 € net (nouveau solde du compte de médiation: 10.830,56 € – passif en principal: 9.612,32 €). Le médiateur invite le tribunal à se prononcer sur le retour à meilleure fortune de la requérante et propose aux créanciers de les rembourser à raison de 80% en capital (soit 7.689,86 €) ainsi que l’achat d’une voiture pour la requérante en vue d’augmenter ses chances de trouver un emploi. Deux créanciers marquent leur accord sur cette proposition. Un créancier renonce à tout paiement. Le dernier créancier ne donne pas suite.

Dans son jugement du 8 octobre 2018, le tribunal dit non fondé le retour à meilleure fortune de la requérante. Selon lui, une succession constitue un retour à meilleure fortune quand la somme héritée permet à la fois d’apurer intégralement le passif et de dégager un disponible important au bénéfice de la requérante. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Un créancier interjette appel de ce jugement. Le retour à meilleure fortune n’a pas de définition légale. Selon les travaux préparatoires, le retour à meilleure fortune est caractérisé par un changement important de la situation patrimoniale de la requérante. Selon le créancier, le tribunal aurait certainement apprécié autrement la remise de dettes si, au moment de l’établissement du plan, l’héritage avait été pris en compte.

Selon la cour, le retour à meilleure fortune ne peut pas être retenu. La situation financière de la requérante ne s’est pas fondamentalement améliorée (la requérante perçoit toujours des indemnités de mutuelle) et le retour à meilleure fortune n’est pas démontré (remboursement de 80% du passif en principal et achat d’une voiture avec le solde). La cour souligne également que«la notion de retour à meilleure fortune ne vise pas toutes les améliorations de la situation financière du médié, mais un événement exceptionnel qui permet au débiteur de disposer d’une somme d’argent considérable».

La cour confirme donc le jugement prononcé par le tribunal en toutes ses dispositions.

Pour découvrir la décision dans son intégralité: télécharger le PDF ici 

Cour du travail de Liège (7ech. – division Namur), 10 janvier 2019 (2017/AN/144)

La cour réforme partiellement le jugement du tribunal du travail qui accorde une décharge partielle des engagements financiers contractés par des codébiteurs solidaires en estimant que les conditions de gratuité et de disproportion ne sont pas vérifiées.

Les demandeurs ont contracté une ouverture de crédit avec leur fils et leur belle-fille. Les quatre débiteurs se sont engagés en qualité de crédités et d’affectants hypothécaires, et ont mis en garantie leur immeuble respectif. L’objet de cette ouverture de crédit était l’achat d’un immeuble (résidence actuelle du fils et de la belle-fille), le refinancement d’un précédent emprunt hypothécaire (des demandeurs et de leur fils) et la transformation d’une habitation (celle des demandeurs).

Les demandeurs ont été mis en demeure et les quatre débiteurs convoqués en conciliation devant le juge des saisies (ancien article 59 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire). Un procès-verbal de non-conciliation a été dressé et le crédit dénoncé. Un commandement préalable à saisie-exécution immobilière leur a été signifié et ils s’y sont opposés. Après négociations, la banque a accepté de renoncer à cette procédure.

Le fils et la belle-fille des demandeurs ont ensuite été admis à la procédure en règlement collectif de dettes. Les demandeurs ont une nouvelle fois été convoqués en conciliation et un procès-verbal de non-conciliation a été dressé. Un commandement préalable à saisie-exécution immobilière leur a été signifié et ils s’y sont opposés. Le tribunal de première instance les a déboutés, jugement qui sera confirmé en appel. Le juge des saisies a désigné un notaire pour la vente de leur immeuble.

Les demandeurs sollicitent la décharge de leur engagement financier (article 1675/16bisCJ) dans le cadre de la procédure en règlement collectif de dettes de leur fils et de leur belle-fille. Ils évoquent la faiblesse de leurs capacités financières, leur état de santé et la disproportion entre leur engagement et leurs revenus.

Dans son jugement du 13 juin 2017, le tribunal du travail confirme tout d’abord que les demandeurs ont la qualité de codébiteurs solidaires. Le tribunal avance ensuite que «la garantie consentie par les parents doit être considérée comme étant l’accessoire de l’engagement dont ils sollicitent être déchargés». Le tribunal décide de décharger partiellement les demandeurs de leur engagement financier en considérant la différence trop importante entre leur engagement à titre gratuit et leurs revenus au moment de la signature de l’acte.

La banque interjette appel de ce jugement. Elle soutient que la décharge de la caution ne peut s’appliquer aux demandeurs car ils ne se sont pas constitués sûretés personnelles à titre gratuit:

  • les demandeurs en ont retiré un avantage financier (refinancement d’un crédit et transformation de leur immeuble);
  • l’engagement des demandeurs couvrait à la fois leur engagement et celui de leur fils et de leur belle-fille, étant tous les quatre codébiteurs solidaires et indivisibles;
  • leurs revenus et leur patrimoine immobilier couvrait leur engagement financier.

La cour réforme le jugement du tribunal quant à la décharge partielle des demandeurs. En effet, la cour constate que, premièrement, la condition de «gratuité»n’est pas respectée et, deuxièmement, la différence entre leur engagement financier et leurs revenus n’est pas établie.

Pour découvrir la décision dans son intégralité: télécharger le PDF ici

Cour du travail de Liège (7ech. – Division Namur), 10 janvier 2019 (2017/AN/191)

La cour du travail de Liège réforme partiellement le jugement du tribunal du travail. La cour rappelle les principes pour déterminer la créance en principal (article 1675/12 CJ) et la notion d’intérêts rémunératoires.

Une société de crédit hypothécaire octroie un prêt à un couple d’emprunteurs, Madame B et Monsieur L. Les parents de Madame B cosignent le contrat de crédit et mettent leur immeuble en hypothèque. L’hypothèque en premier rang garantit le remboursement du capital (75.000 €) et le paiement d’une indemnité de remploi (7.500 €).

En proie à des difficultés financières, les emprunteurs sont admis à la procédure en règlement collectif de dettes. Leur médiateur de dettes établit un projet de plan de règlement amiable. Monsieur L. émet un contredit. Le créancier hypothécaire entreprend une procédure de saisie sur l’immeuble hypothéqué par les parents de Madame B.

Ceux-ci introduisent une requête en règlement collectif de dettes et sont admis à la procédure le 5 août 2009. Selon le décompte provisionnel, la créance hypothécaire est évaluée à 88.055,70 €. Dans son jugement du 22 octobre 2012, le tribunal du travail leur impose un plan de règlement judiciaire, d’une durée de cinq ans, sans remise de dettes en principal. Le créancier hypothécaire est invité à préciser et à justifier le montant de sa créance (principal, intérêts et frais à la date d’admissibilité).

Le 15 juillet 2015, le créancier hypothécaire communique son décompte et fixe la créance à 150.372,46 €. Les parties sont en litige quant au montant de cette créance. En effet, en 2009, la créance déclarée par le créancier hypothécaire était de 88.055,70 €.

Dans son jugement du 26 septembre 2017, le tribunal du travail fixe la créance hypothécaire à 88.055,70 €, moins les montants déjà payés durant la médiation. Le créancier hypothécaire conteste le montant retenu par le tribunal. Il réclame une somme de 81.864,88 € à titre d’intérêts rémunératoires et d’autres frais.

La cour définit et distingue la notion d’intérêts rémunératoires et moratoires:

  • Les intérêts rémunératoires sont la «rémunération du crédit octroyé au débiteur bénéficiaire du terme pour le paiement de sa dette: c’est la contrepartie du crédit faisant l’objet de stipulations contractuelles entre le prêteur et l’emprunteur»[1]et «relève de la dette en principal»[2].
  • Les intérêts moratoires correspondent «aux intérêts dus en cas de paiement tardif…»et peuvent faire l’objet d’une remise totale ou partielle[3].

La cour confirme le décompte arrêté à la date d’admissibilité qui est établi par le tribunal. Elle y ajoute les frais réclamés pour les primes d’assurance incendie et les frais de justice (sans frais d’avocat).

Pour découvrir la décision dans son intégralité: télécharger le PDF ici

Cour du travail de Liège (7ech. – division Namur), 7 mars 2019 (RG 2019/AN/11)

La cour réforme partiellement l’ordonnance du tribunal du travail et autorise le médiateur à libérer des fonds pour l’apurement des dettes nouvelles pour des raisons liées à la finalité de la procédure.

Le requérant est en règlement collectif de dettes depuis le 22 février 2013. Un plan de règlement amiable a été homologué le 11 septembre 2014. Ce plan amiable, d’une durée de 84 mois, prévoit un remboursement de 23% des dettes en principal (dettes évaluées à 16.519,74 €). Au 11 février 2019, le solde du compte de médiation est de 10.075,56 €.

Àplusieurs reprises, le requérant a sollicité et obtenu l’autorisation du tribunal d’accomplir des actes étrangers à la gestion normale du patrimoine (article 1675/7, §3, C.J.). Ces dépenses exceptionnelles portaient sur le paiement de divers frais (l’achat de voitures d’occasion, des dépenses liées à des frais de voiture, des garanties locatives, des frais de déménagement, le paiement d’impôts, le paiement d’une taxe de circulation, le paiement d’une taxe communale et le paiement de primes d’assurance).

Le 17 décembre 2018, le tribunal a refusé de libérer les fonds demandés pour le paiement de nouvelles dettes et pour l’achat d’un vélo électrique (soit 3.292,74 €). Le tribunal a constaté la nature fautive des nouvelles dettes, la cessation de la guidance budgétaire du requérant et l’absence de justification pour l’achat d’un vélo électrique.

Le requérant conteste cette ordonnance et demande la libération de fonds uniquement pour le paiement de ses dettes nouvelles. Il évoque plusieurs motifs pour justifier cette contestation:

1°   le requérant a, de sa propre initiative, demandé son placement sous administration provisoire vu son assuétude aux jeux de café;

2°   le requérant a presté de nombreuses heures supplémentaires pour alimenter significativement le compte de médiation, lui permettre d’assumer ses charges financières et ne pas entraver la bonne exécution du plan homologué. Dès lors, les créanciers devraient recevoir des sommes supérieures à celles initialement prévues dans le plan;

3°   vu son pécule de médiation et ses charges incompressibles, il faut veiller à ce que le requérant conserve des conditions de vie conformes à la dignité humaine. Celles-ci seraient compromises s’il ne peut pas payer ses nouvelles dettes (des arriérés de loyer pour 2.140 €, des cotisations de mutuelle dues pour 523,50 €, des frais de consommation d’eau pour 172,04 € et le coût de fourniture d’électricité pour 182,11 €, soit un total de 3.017,65 €).

La cour réforme partiellement l’ordonnance du tribunal et autorise le médiateur à libérer les fonds pour l’apurement de ses quatre nouvelles dettes.

Pour découvrir la décision dans son intégralité: télécharger le PDF ici

Tribunal du travail du Brabant wallon (7ech. – division Nivelles), 21 février 2019 (RG 17/371/B)

Le tribunal décide d’intégrer au passif du règlement collectif de dettes de la requérante une créance considérée comme prescrite par la médiatrice de dettes. En effet, la décision d’admissibilité entraîne la suspension de la prescription et prolonge donc celle-ci.

La requérante a été admise à la procédure en règlement collectif de dettes le 11 janvier 2018. Dans sa requête, celle-ci a indiqué les coordonnées de l’huissier de justice qui lui a signifié le jugement, et non celles de la créancière. Le greffe ne notifie dès lors l’ordonnance d’admissibilité à celle-ci que le 8 août 2018. La créancière introduit donc sa déclaration de créance le 12 septembre 2018. La médiatrice de dettes dépose un projet de plan de règlement amiable qui exclut cette créance au motif que cette dernière serait prescrite. La créancière s’oppose à ce projet de plan. En effet, elle argumente que cette créance résulte d’un jugement prononcé par le tribunal de première instance le 29 janvier 2008 et signifiée à la requérante le 1eravril 2008. Le délai de prescription étant de 10 ans, la prescription serait acquise au 1eravril 2018 mais elle a été suspendue par l’ordonnance d’admissibilité du 11 janvier 2018. Cette créance n’est dès lors pas prescrite. Le tribunal décide de l’intégrer au passif de l’endettement déclaré.

Pour découvrir la décision dans son intégralité: télécharger le PDF ici

Christelle Wauthier,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1]Voir Christine Biquet-Mathieu, «Le sort des dettes en principal et intérêts», inLes procédures de règlement collectif du passif, C.U.P., vol. XXXV, décembre 1999, p. 125.

[2]Voir «Inédits de règlement collectif de dettes II», M. Westrade, J.-C. Burniaux et C. Bedoret, JLMB 2015/16, p. 738, n°4.2. Plan de règlement basé sur l’article 1675/12 du Code judiciaire.

[3]Voir article 1675/12, §1er, 4°.