RCD Attention jurisprudence fraîche (avril-mai-juin 2021)

 Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dette. En voici la recension.

 Tribunal du travail de Liège, division de Liège, 14e ch., 7 mai 2021, RG 20/805/B

Règlement collectif de dettes – Difficultés – Conditions d’admissibilité – Révocation d’une procédure antérieure – Délai de cinq ans – Absence de tierce opposition – Principe de l’autorité de la chose jugée – Mauvaise foi procédurale – Appréciation souveraine du juge – Poursuite de la procédure

Monsieur X dépose une requête en règlement collectif de dettes, le 24 décembre 2020, dans laquelle il précise ne pas avoir déjà bénéficié d’une précédente procédure. Il est admis en date du 28 décembre 2020. Peu après, le médiateur de dettes désigné demande fixation du dossier afin de soumettre une difficulté au tribunal. En effet, un créancier repris à la procédure l’informe que Monsieur X a déjà bénéficié d’une procédure en règlement collectif de dettes qui s’est terminée par une révocation le 3 mai 2018. Le délai de cinq ans n’étant pas écoulé, le médiateur soulève que la demande d’admission n’était pas recevable.

Après avoir entendu Monsieur X sur cette question, le médiateur précise au tribunal que:

1° il a connu une période très difficile à cette époque;

2° il n’ouvrait plus son courrier;

3° il était au courant de la fin de la procédure, mais il ignorait que celle-ci s’était clôturée par une révocation;

4° depuis deux ans et demi, il tente de régler son endettement à l’amiable, a conclu plusieurs plans de paiement, malgré une cession sur salaire, et a soldé plusieurs dettes.

Le médiateur souligne également les possibilités d’établir un plan de règlement. Les revenus de Monsieur X lui permettraient de dégager une somme de 1.200 € – voire 1.400 € – à l’apurement de son passif. Il pourrait donc rembourser intégralement le principal, les frais et les intérêts.

Le médiateur constate qu’aucun créancier n’a fait tierce opposition contre l’ordonnance d’admissibilité. Cependant, le fait de ne pas avoir mentionné dans sa requête la révocation dont a fait l’objet sa précédente procédure est constitutif de mauvaise foi procédurale. Le médiateur demande au tribunal de fixer l’affaire sur la base de l’article 1675/15, § 1er, 1° du Code judiciaire («remise de documents inexacts en vue d’obtenir ou de conserver le bénéfice de la procédure de règlement collectif de dettes»).

Premièrement, le tribunal souligne qu’en l’absence de recours contre la décision d’admissibilité, celle-ci ne peut pas être remise en cause en raison du principe de l’autorité de la chose jugée.

Ensuite, le tribunal rappelle que, selon la doctrine, la révocation n’est pas automatique et que le juge apprécie souverainement dans quelle mesure elle se justifie. Il dispose d’un large pouvoir d’appréciation et tient compte:

  • du contexte global (psychologique, social…);
  • de la gravité du manquement;
  • du caractère fautif ou non du manquement;
  • de la mise en péril des intérêts des créanciers;
  • de la modification du comportement et l’évolution positive du débiteur;
  • de la réparation du manquement par le débiteur[1].

En l’espèce, le tribunal relève que «ses déclarations quant à la négligence de sa situation pendant plusieurs années et quant à sa volonté actuelle de se reprendre en main ont des accents de sincérité et sont confirmées par les perspectives de remboursement évoquées par le médiateur (un disponible de 1.200 €, voire 1.400 € par mois, étant envisagé et devant permettre un remboursement de 100% de l’endettement en principal, frais et intérêts)».

Le tribunal en conclut que la révocation, dont la sanction est particulièrement grave, ne se justifie pas.

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Cour de cassation, 3e ch., 18 janvier 2021, n°S.20.0043.F/1

Règlement collectif de dettes – Crédit hypothécaire – Absence de dénonciation – Crédit hypothécaire mis hors plan – Vente d’immeubles – Répartition du produit de la vente – Absence de vente de la résidence principale – Condition résolutoire – Absence de procédure en justice

Les deux premiers défendeurs en cassation sont propriétaires de l’immeuble dans lequel ils résident, d’un appartement et d’un garage. Le crédit portant sur la résidence présentait quelques mensualités de retard, mais n’avait pas été dénoncé.

Dans le cadre de la procédure en règlement collectif de dettes, l’appartement et le garage ont été vendus pour une somme de 30.365,64 €. La cour du travail s’est penchée sur la répartition entre les créanciers du prix de la vente de ces biens. Après avoir remboursé les mensualités hypothécaires en retard, elle a estimé que le solde (20.032,44 €) devait être réparti entre tous les créanciers, hormis le créancier hypothécaire dont le crédit était remboursé «hors plan».

Elle a ensuite imposé un plan judiciaire qui permet de rembourser intégralement le solde principal des créances hors crédit hypothécaire. Dès lors, la cour n’impose pas la vente de l’immeuble servant de résidence.

Le créancier hypothécaire a introduit un recours en cassation. Il invoque que le produit de la vente, soit la somme de 30.365,64 €, devait lui revenir et que le crédit étant dénoncé par l’effet du règlement collectif de dettes, la vente de la résidence des défendeurs en cassation s’imposait.

La Cour rappelle les principes suivants:

1° l’article 1184 de l’ancien Code civil prévoit que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques en cas de manquement, mais que la résolution doit être demandée en justice;

2° l’article 1675/7, §1er du Code judiciaire fait naître un concours entre les créanciers et rend le patrimoine du débiteur indisponible;

3° l’article 1675/7, §3 entraîne l’interdiction pour le requérant d’accomplir un acte étranger à la gestion normale, de favoriser un créancier et d’aggraver son insolvabilité;

4° l’article 8 de la loi hypothécaire dispose que les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et que le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence.

La Cour en conclut que la décision d’admissibilité n’entraîne pas la résolution de plein droit du contrat de crédit conclu avec le débiteur. Le crédit hypothécaire n’ayant pas été dénoncé, il est normal qu’il soit mis hors plan.

Le créancier hypothécaire se verra ainsi rembourser l’intégralité des sommes dues en principal et intérêts. Si son argumentation était suivie, la vente de la maison ne lui permettrait d’obtenir le remboursement que du principal de sa créance en raison du plan judiciaire imposé qui accorde la remise pour les intérêts et les frais.

La cour rejette le pourvoi.

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Cour constitutionnelle, 22 avril 2021, n°62/2021

Faillite – Absence de demande d’effacement – Recours – Délai de trois mois – Délai de forclusion – Travaux préparatoires – Favorisation de l’entrepreneuriat – Objectif non atteint – Discrimination – Violation des articles 10 et 11 de la Constitution

Le 25 août 2018, le failli dépose un aveu de cessation de paiement sur le site du Registre central de la solvabilité (RegSol). Le tribunal de l’entreprise d’Anvers, division Tongres, prononce la faillite le 4 septembre 2018. La faillite est ensuite clôturée par jugement rendu par défaut. En l’absence de demande du failli, le tribunal n’accorde pas l’effacement des dettes. Le failli fait opposition à ce jugement pour obtenir néanmoins cet effacement. Le tribunal constate que le délai de trois mois est un délai de forclusion (c’est-à-dire strict: passé ce délai, il n’est plus possible de demander l’effacement) et que la demande est donc tardive.

À la demande du failli, le tribunal pose à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante:

«L’article XX.173, § 2, du Code de droit économique viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle le délai de trois mois après la publication du jugement de faillite pour introduire une requête en effacement est un délai de forclusion, en ce que le failli-personne physique qui n’introduit pas une requête en effacement en temps utile perd, de ce fait, irrévocablement et intégralement le droit à l’effacement, contrairement au failli-personne physique qui introduit une requête en effacement en temps utile et qui (à défaut d’opposition formée conformément à l’article XX.173, § 3, du Code de droit économique) obtiendra l’effacement automatiquement et sans que le tribunal dispose d’un pouvoir d’appréciation à cet égard?»

La Cour rappelle qu’en adoptant la réforme du droit des faillites et en remplaçant la notion d’excusabilité par celle d’effacement, le législateur poursuit notamment l’objectif de «promouvoir la seconde chance qui encourage l’entrepreneuriat et permet un nouveau départ»[2]. L’article XX.173 du Code de droit économique permet au failli de demander l’effacement de ses dettes. Tout intéressé, y compris le curateur et le ministère public, peut demander que l’effacement ne soit accordé que partiellement ou soit refusé totalement, à condition de prouver que le failli a commis des fautes graves et caractérisées qui ont contribué à la faillite. Si aucune contestation n’est introduite, le juge ne dispose d’aucune marge d’appréciation et doit ordonner l’effacement du solde des dettes, demandé dans les délais. Le failli qui fait aveu de faillite peut choisir soit d’introduire la requête en effacement du solde des dettes, en même temps que son aveu de faillite, soit de la déposer séparément au plus tard trois mois après la publication du jugement de faillite. Le failli qui est cité en faillite ne dispose que de cette dernière possibilité.

La Cour estime que la différence de traitement entre les personnes qui exercent leurs droits dans le délai de forclusion applicable et celles qui ne le font pas n’est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si l’application du délai de forclusion entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.

À l’examen des travaux préparatoires, la Cour souligne que rien ne permet de déterminer pourquoi le législateur a choisi de subordonner à une demande expresse du failli la décision sur l’effacement du solde des dettes ni pourquoi il soumet cette demande à un délai de forclusion. En outre, le législateur ne tient pas compte du fait que la nécessité de cet effacement pourrait seulement apparaître plus tard dans la procédure.

La Cour relève que le moment auquel le failli demande l’effacement n’a aucune incidence sur la gestion de la masse, sur la déclaration et la vérification des créances ou sur la liquidation de la faillite. De plus, en cas de contestation de cette demande, la charge de la preuve des fautes graves et caractérisées qui ont contribué à la faillite incombe à ceux qui s’opposent à l’effacement total. Dès lors, le délai de trois mois ne saurait être considéré comme une mesure permettant un règlement rapide de la faillite.

Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où le failli néglige de demander en temps utile l’effacement du solde des dettes, l’objectif du législateur, considéré comme essentiel et consistant à promouvoir l’entrepreneuriat de la seconde chance, est compromis par la disposition en cause.

Le dépassement du délai de forclusion produit des effets disproportionnés pour le failli-personne physique qui perd toute possibilité qu’un juge se prononce sur l’effacement du solde de ses dettes et qui doit irrévocablement continuer à supporter les dettes qui n’ont pas été réglées par la liquidation de la masse sur l’ensemble de son patrimoine.

La Cour en conclut que l’article XX.173, § 2, du Code de droit économique viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que le failli-personne physique qui n’introduit pas une requête en effacement du solde des dettes dans le délai de forclusion de trois mois après la publication du jugement de faillite perd irrévocablement le droit à cet effacement.

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Tribunal du travail de Liège, division de Namur, 9e ch., 8 février 2021, RG 20/6/B

Règlement collectif de dettes – Absence de collaboration – Manœuvre de sabotage – Désistement sous condition

Madame X1 et Monsieur X2 sont admis en règlement collectif de dettes en janvier 2020 et se séparent en décembre 2020. Ne souhaitant pas respecter le cadre qu’impose une telle procédure (refus de communiquer le budget, non-paiement du loyer, dépenses excessives…), ils informent rapidement le médiateur de leur souhait de se désister de la procédure. Le médiateur dépose alors une demande de fixation pour régler la difficulté.

Le médiateur indique que Monsieur X2 avait accepté qu’une somme de 400 € soit retenue sur son pécule de janvier 2021 pour «équilibrer les suites de la séparation intervenue en décembre 2020». Cependant, Monsieur X2 n’a pas rentré sa carte de contrôle auprès de sa caisse de chômage. La retenue prévue n’a donc pas pu se faire. Le médiateur demande que le désistement prenne effet dès que Monsieur X2 aura rentré sa carte de chômage.

La procédure de règlement collectif de dettes est une procédure volontaire et les parties peuvent se désister à tout moment, même après l’adoption d’un plan. Le tribunal prend donc acte de la volonté des parties de se désister. Toutefois, vu les «manœuvres de sabotage systématique entreprises par les médiés», il décide que le désistement ne prendra effet qu’à partir du moment où Monsieur X2 aura effectivement remis à son organisme de paiement sa carte de contrôle, assurant ainsi le versement de ses allocations de chômage de janvier 2021 sur le compte de médiation.

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Virginie Sautier, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Ch. Bedoret, «Les fins de procédure», in Ch. Bedoret (dir.), Le fil d’Ariane du règlement collectif de dettes, Anthemis, 2015, p. 588 et s.

[2] Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2407/001, p. 3.