RCD: Attention, jurisprudence fraîche ! (janvier-février-mars 2020)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

Tribunal d’arrondissement du Hainaut, 18 octobre 2019 (RG 19/30/E) 

Immeuble en indivision – Sortie d’indivision – Incidents issus d’une liquidation-partage – Tribunal compétent

Le requérant est admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 26 février 2016. Le 15 janvier 2019, le médiateur sollicite l’autorisation de vendre l’immeuble du requérant dont il est copropriétaire avec son ex-compagne. Le tribunal du travail soulève son incompétence et renvoie la cause devant le tribunal d’arrondissement.

En principe, la sortie d’indivision relève de la compétence exclusive du tribunal de la famille conformément aux 572 bis, 10° et 1207 du Code judiciaire. Cependant, la loi du 11 août 2017 a octroyé au tribunal du travail, en vertu de l’article 1675/14 bis du Code judiciaire, une compétence particulière pour connaître de ces demandes lorsqu’elles sont introduites dans le cadre d’un règlement collectif de dettes: «1675/14 bis, § 2. Lorsque des immeubles appartiennent en copropriété au débiteur et à d’autres personnes, le tribunal du travail peut, sur demande du débiteur ou du médiateur de dettes agissant dans le cadre d’un plan de règlement judiciaire, ordonner la vente des immeubles indivis[…].»

Cependant, il est une chose d’ordonner la sortie d’indivision, il en est une autre de régler les incidents qui apparaissent dans le cadre de la liquidation-partage, c’est-à-dire dans le cadre de la liquidation des biens indivis et du partage des sommes entre les indivisaires. A priori, le tribunal du travail ne dispose pas des compétences techniques nécessaires pour régler ces incidents. Cela étant, s’il est saisi de la demande de sortie d’indivision, il semble incohérent de faire trancher, par la suite, les incidents devant la juridiction naturelle, à savoir le tribunal de la famille.

Le tribunal d’arrondissement a été saisi de cette question de compétence et estime que l’article 1675/14 bis du Code judiciaire étend aux immeubles en indivision concernés par une procédure en règlement collectif de dettes le principe consacré par l’article 100, al. 3 de l’ancienne loi sur les faillites du 8 août 1997. Avec cette loi, le législateur a souhaité remédier à la difficulté pratique résultant de ce qu’une situation d’indivision dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité impose l’introduction d’une demande devant un autre tribunal.

Le tribunal ajoute également que cette disposition est entrée en vigueur le 1er mai 2018, soit postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi portant création du tribunal de la famille qui a inséré l’article 572 bis du Code judiciaire lui octroyant la compétence pour connaître des demandes de partage. En conséquence,le tribunal d’arrondissement confirme donc la compétence du tribunal du travail pour régler toute problématique relative à une sortie d’indivision dans le cadre d’un règlement collectif de dettes, partage compris.

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Cour du travail de Liège, division Namur, 17 octobre 2019 (RG 2018/AN/204 + 208)

Révocation – Solde du compte de médiation – Causes légales de préférence – Créanciers déclarants – Créanciers post-admissibilité

Le SPF Finances interjette appel de la décision rendue par le tribunal du travail concernant la répartition du solde du compte de médiation à la suite d’une révocation. Se basant sur la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts du 5 janvier 2015 et du 8 janvier 2018) et de la Cour constitutionnelle (arrêt du 4 octobre 2018), il revendique l’application de son privilège légal.

La Cour déclare l’appel du SPF Finances fondé. Elle invite le médiateur à faire rapport des créanciers ayant et n’ayant pas participé à la procédure, en renseignant sur toutes les causes de préférence et à proposer un plan de répartition. Le médiateur est ainsi tenu de respecter les causes de préférence et de prendre en compte les créances déclarées tant par les créanciers participant au plan que par les créanciers post-admissibilité ayant transmis leurs créances.

Compte tenu de ces éléments, le médiateur propose le plan de répartition suivant:

  • Madame N, créancière d’aliments: créance post-admissibilité (3.600 €);
  • SPF Finances: créance ante-admissibilité (7.650,51 € + 334,38 €);
  • Société wallonne des eaux: créance ante-admissibilité (415,63 € + 97,02 €);
  • Service public de Wallonie: créance ante-admissibilité (5.122,54 €).

Le compte de médiation présente un solde de 4.370,96 €, somme à laquelle l’état de frais et honoraires du médiateur doit être déduit, à savoir 1.935,87 €.

Compte tenu du solde à répartir, soit 2.435,09 €, seule la créancière d’aliments est créditée de ladite somme. En effet, son privilège est fondé sur l’article 19/3° bis de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851. Le SPF Finances, à l’origine de l’appel, n’est dès lors crédité d’aucune somme malgré l’existence de son privilège fondé sur les articles 422 et 423 du Code des impôts sur les revenus, prenant rang immédiatement après celui mentionné à l’article 19/5° de la loi du 16 décembre 1851.

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Cour constitutionnelle, 16 janvier 2020 (RG 4/2020)

Révocation – Solde du compte de médiation – Causes légales de préférence – Créanciers déclarants – Créanciers extérieurs – Information de la procédure – Mesures de publicité

Deux questions préjudicielles ont été posées par la cour du travail de Liège à la Cour constitutionnelle.

La première question concerne l’existence ou non d’une discrimination dans le cadre d’une répartition du solde du compte de médiation entre les créanciers «déclarants» et les créanciers dits «extérieurs». Quels sont les créanciers concernés par la répartition du compte suite à une révocation?

La Cour rappelle que les causes légales de préférence doivent être respectées parce que la répartition a lieu après le prononcé de la révocation. Les effets de la procédure en règlement collectif ont donc pris fin. Dès lors, le droit des créanciers, y compris celui des créanciers extérieurs à la procédure, est amené à revivre pleinement. En d’autres termes, le juge doit tenir compte des causes légales de préférence de tous les créanciers du débiteur révoqué, à savoir les créanciers non déclarants et les créanciers déclarants.

La deuxième question concerne l’existence ou non d’une discrimination concernant l’information de la procédure à l’égard des créanciers «déclarants», intégrés dans la procédure puisque ayant déclaré leur créance, et des créanciers «extérieurs», qui n’en font pas partie. En d’autres termes, le créancier «extérieur» n’est-il pas lésé, car moins informé de l’existence de la procédure que le créancier «déclarant»?

La Cour explique que la décision d’admissibilité est transmise dans les 24 heures au Fichier central des avis de saisie et qu’il s’agit d’une mesure de publicité permettant d’informer n’importe quel créancier de l’existence d’une procédure en règlement collectif de dettes. Compte tenu de cette publicité et de la faculté pour tout créancier intéressé (même extérieur) de saisir le tribunal pour faire fixer le dossier, la Cour considère que les dispositions légales n’empêchent pas les créanciers extérieurs d’être informés de la procédure et de participer à la répartition.

À lire cet arrêt, il faut considérer que tous les créanciers (déclarants et extérieurs) sont traités sur un pied d’égalité et qu’ils disposent, chacun, de la possibilité d’être informés de la procédure et de faire valoir leur créance dans le cadre d’une répartition issue d’une fin anticipée de la procédure.

Par contre, cela signifie-t-il pour autant que le médiateur n’est pas tenu d’investiguer afin de déterminer l’existence de tous les créanciers et qu’il peut se contenter de ceux qui portent à sa connaissance l’existence de leur créance? L’arrêt ne le dit pas!

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Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 13 novembre 2019 (RG 19/124/B)

Qualité d’entreprise – SPRL déclarée en faillite – Absence de clôture de la faillite – Gérant – Contrat de travail – Cessation d’activité d’indépendant

Une requête en règlement collectif de dettes est déposée le 8 mars 2019, les requérants sont admis le 28 mai 2019. Le médiateur de dettes dépose un procès-verbal de carence le 29 juillet 2019, demandant le rejet de la procédure.

Le motif de la demande de rejet est la qualité d’entreprise des requérants. En effet, ils sont associés-gérants d’une SPRL pour laquelle une procédure en faillite est ouverte depuis le 13 juin 2017 et toujours en cours. Le médiateur souligne qu’en vertu de la jurisprudence relative à la qualité d’entreprise d’une personne physique gérante d’une société, les requérants n’ont pas leur place dans la procédure.

Le tribunal considère, quant à lui, que le gérant d’une société est une entreprise lorsqu’il exerce une activité professionnelle à titre indépendant. Certes, les requérants étaient gérants et fondateurs d’une SPRL.

Cependant, depuis la faillite de la société, Madame est engagée sous contrat de travail et n’exerce plus aucune activité à titre indépendant au sein de la SPRL. Elle n’est dès lors plus une entreprise au sens de l’article I.1 du Code de droit économique.

Monsieur est toujours indiqué comme gérant de la SPRL. Toutefois, il n’exerce plus aucune activité professionnelle à titre indépendant depuis la faillite. Il bénéficie d’allocations de chômage depuis février 2019. Dès lors, au moment du dépôt de la requête, il ne peut plus être considéré comme une entreprise. De plus, ce n’est pas Monsieur, mais la SPRL qui a été déclarée en faillite. Il n’avait donc pas à attendre la clôture de cette faillite pour introduire une procédure en règlement collectif de dettes.

La demande du médiateur est déclarée non fondée. Il n’y a pas lieu de rejeter les requérants de la procédure.

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Tribunal du travail de Liège, division Namur, 5 novembre 2019 (RG 16/179/B)

Déclaration de créance tardive – Fixation du montant de la créance – Créancier hypothécaire – Vente de l’immeuble – Privilège – Responsabilité du notaire

Les requérants sont admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 15 juin 2016. Ils sont propriétaires d’un immeubleacquis au prix de 158.000 €. En décembre 2017, le couple se sépare. En mars 2018, le médiateur dépose une requête en autorisation de vendre l’immeuble pour la somme de 165.000 €. Une ordonnance en autorisation de vente est prise le 29 octobre 2018. À la suite de la vente, le notaire a pris la responsabilité de libérer les fonds, soit la somme de 165.999,18 € sur le compte du créancier hypothécaire. Un litige est alors apparu quant au décompte de la créance hypothécaire.

Le litige concerne la détermination du montant de la dette du créancier hypothécaire.

La requête en règlement collectif de dettes faisait bien état de l’existence d’une dette de 173.000 € à l’égard du créancier hypothécaire. Le créancier hypothécaire a cependant adressé sa déclaration de créance le 23 novembre 2016, pour un montant de 4.129,73 € d’impayés de mensualités hypothécaires. Deux courriers sont envoyés par le médiateur au créancier hypothécaire afin qu’il réexamine le montant de sa créance et rectifie celui-ci le cas échéant.

Le 20 décembre 2018, l’immeuble a été vendu et le médiateur ne dispose toujours pas d’une déclaration de créance correcte et complète. Il a dès lors adressé au créancier le courrier «dernier délai», conformément au prescrit de l’article 1675/9, § 3 du Code judiciaire. Le créancier n’y a réservé aucune suite.

Le 18 janvier 2019, le créancier hypothécaire fait savoir que sa créance s’élève à 194.013,56 €, montant comptabilisant des intérêts post-admissibilité. Le médiateur soutient que le créancier omet de prendre en considération la situation de concours qui intervient depuis l’ordonnance d’admissibilité.

La cause est fixée le 5 février 2019 sur pied de l’article 1675/14 bis du Code judiciaire afin de régler la difficulté émanant de la vente de l’immeuble.

Le tribunal conclut que le médiateur et le notaire ont l’obligation de prendre en considération exclusivement la créance qui a fait l’objet d’une déclaration de créance valable et dans le respect des conditions légales, à savoir celle déclarant un montant de 4.129,73 €.

Par conséquent, le créancier hypothécaire est déchu de ses droits pour le surplus. Sous réserve de la responsabilité du notaire, le créancier hypothécaire est condamné à rembourser la somme de 161.869,45 €, perçue par l’intermédiaire du notaire à la suite de la vente de l’immeuble, sur le compte de médiation.

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Cour du travail de Liège, division Liège, 5 novembre 2019 (RG 2019/AL/260)

Projet de plan amiable – Vérification des créances déclarées – Rôle du médiateur de dettes – Rôle du tribunal

La Cour est saisie de deux demandes: l’une concernant l’homologation d’un plan de règlement amiable contenant une créance discutée, l’autre concernant une demande de révocation.

Concernant la révocation, la Cour considère qu’il ne peut être reproché à la débitrice d’avoir fait état d’une reconnaissance de dettes et d’avoir donné des explications peu crédibles quant à l’origine de cette dette. La cause de la reconnaissance de dette n’a jamais été dissimulée et tous les créanciers ont accepté la prise en considération de cette créance en ne communiquant aucun contredit au plan. Cela ne peut être considéré comme une absence de bonne foi et de transparence. La Cour infirme dès lors le raisonnement du tribunal et réforme le jugement entrepris en ce qu’il prononce la révocation.

Concernant l’homologation du plan amiable, la problématique concerne la validité d’une créance déclarée au passif de la procédure. La Cour considère qu’en cas de doute concernant le fondement d’une créance, il appartient au médiateur de vérifier ladite créance et d’obtenir les éclaircissements nécessaires afin de la justifier. En effet, l’article 1675/3, § 3 du Code judiciaire prévoit que «seules peuvent être reprises dans le plan de règlement amiable les créances non contestées ou établies par un titre, même privé, à concurrence des sommes qui sont ainsi justifiées».

La Cour invite dès lors le médiateur à reprendre sa mission, considérant que, s’il estime que cette créance est contestable et n’est pas établie par un titre, il lui incombe d’établir un nouveau plan de règlement amiable excluant cette créance.

La solution qui se dégage de cet arrêt est quelque peu contestable. En effet, en cas de discussion à propos du fondement d’une créance, il revient au juge du règlement collectif de dettes de trancher la difficulté (sur la base de l’article 1675/14, § 2, al. 3 du Code judiciaire). Si le juge du règlement collectif de dettes n’est pas en mesure de trancher le litige, il doit renvoyer cette contestation devant le juge du fond compétent pour en connaître. Il ne semble, a priori, pas être du ressort du médiateur de dettes de se positionner par rapport à une telle difficulté.

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Eléonore Dheygere,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement