RCD Attention, jurisprudence fraîche! (janvier/février/mars 2022)

Dans cette rubrique, vous trouverez une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dette. En voici la recension.

Cour du travail de Liège (division Liège) (5e ch.), 16 novembre 2021, RG 2021/AL/347

Règlement collectif de dettes – Rejet (1675/14, § 2 CJ) – Impossibilité d’établir un plan de règlement vu l’existence de dettes incompressibles – Appel du jugement du tribunal du travail de Liège, division Liège, du 19 mai 2021

Dans sa requête en règlement collectif de dettes, Monsieur X. sollicite son admission sur la base des éléments suivants:

  • il n’est propriétaire d’aucun immeuble, il vit dans un meublé et ne possède aucun véhicule;
  • il vit seul et perçoit des allocations de chômage (1.155,75 €);
  • il n’apporte aucune précision quant à l’origine de son surendettement.

Après avoir reçu une ordonnance de non-admissibilité, Monsieur X. est admis par arrêt du 7 janvier 2014. L’arrêt constate une succession d’échecs commerciaux dont les causes sont interpellantes, sans toutefois retenir une organisation manifeste de son insolvabilité.

Par jugement du 19 mai 2021, le tribunal du travail met fin à la procédure au motif qu’il est impossible d’établir un plan, qu’il soit amiable ou judiciaire. Le passif est arrêté à la somme de 2.719.835,97 € en principal et l’épargne sur le compte de médiation s’élève à 19.272,65 €. De plus, Monsieur X. a été condamné en 2017 par le tribunal correctionnel pour des faits qui démontrent son absence totale de bonne foi.

Monsieur X. interjette appel de ce jugement.

La cour du travail rappelle:

  • la possibilité pour le juge de rejeter la procédure, s’il est admis que la situation financière d’un débiteur ne pourra pas être rétablie en raison de l’existence de dettes incompressibles;
  • le principe de l’article 464/1, §8, al. 5 du Code d’instruction criminelle selon lequel une remise de dettes pour une peine (y compris les confiscations et frais de justice) est interdite;
  • que l’organisation manifeste de l’insolvabilité est un motif de non-admissibilité, de révocation ou de rejet.

La Cour relève que Monsieur X. a été condamné:

  • au pénal, à une peine d’emprisonnement de 20 mois et à une amende de 600 € du chef de faux en écritures, détournement de fonds, non-versement à l’ONSS… ainsi qu’aux frais de la cause liquidés à 134.034,57 €;
  • au civil, à la somme totale de 709.978,06 € et aux dépens de 12.000 €.

La Cour constate dès lors l’impossibilité de rétablir la situation de l’appelant s’agissant de dettes pénales incompressibles, ainsi que la volonté de Monsieur X. de se rendre insolvable. En sa qualité de dirigeant de plusieurs sociétés en faillite, Monsieur X. a été reconnu coupable de détournements frauduleux au moyen de fausses factures. Ses sociétés ont accumulé des dettes envers l’ONSS révélant une fraude sociale de grande ampleur. La majeure partie de son endettement résulte donc d’actes délictueux qui impliquent une intention frauduleuse. «Monsieur X. devait avoir conscience qu’il organisait son insolvabilité en participant de manière volontaire et intéressée à une fraude érigée en système.»

La Cour ne peut que confirmer le jugement dont appel en ce qu’il met un terme à la procédure de règlement collectif de dettes de Monsieur X.

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Cour du travail de Liège (division Namur) (7e ch.), 11 octobre 2021, RG 2020/AN/149

Règlement collectif de dettes – Autorisation de céder des droits immobiliers (1675/14bis et 1326 CJ) – Part en nue-propriété dans un bien grevé de l’usufruit du conjoint survivant

Dans le cadre du plan judiciaire imposé par le tribunal du travail, la remise de dettes est subordonnée à la recherche d’un emploi, mais également à la réalisation des droits immobiliers de Monsieur X.

En effet, Monsieur X. a hérité de droits dans deux immeubles:

  • dans le premier, il possède un quart en nue-propriété (soit une valeur de 24.025 €);
  • dans le second, il possède un douzième en nue-propriété (soit une valeur de 13.800 €).

Les usufruitiers, conjoints survivants, de ces immeubles ont déclaré leur intention de conserver l’occupation de leur domicile dans ceux-ci, mais de ne pas s’opposer à la vente des droits indivis.

Le tribunal met un terme à la procédure au motif que la seule offre reçue de la sœur de Monsieur X. (10.000 €) est largement inférieure à la valeur estimée. Monsieur X. interjette appel de cette décision.

La Cour rappelle que, «lorsque l’immeuble dans lequel le débiteur détient des droits en nue-propriété abritait le logement familial au jour du décès du de cujus (personne dont la succession est ouverte), l’usufruit ne peut être converti qu’avec l’accord du conjoint survivant. À défaut d’accord, seuls les droits en nue-propriété du débiteur peuvent être réalisés. En cas de pluralité de nus-propriétaires, il convient d’envisager par priorité un éventuel rachat de la part du débiteur par les autres nus-propriétaires ou par l’usufruitier»[1].

La Cour souligne également qu’elle ne peut envisager une remise de dettes que s’il est procédé à la vente des parts indivises de Monsieur X., sauf si le principe de dignité humaine impose de ne pas réaliser la vente ou en cas d’abus de droit.

L’abus de droit s’apprécie selon les critères suivants[2]:

  • la nature de l’immeuble concerné (bien préférentiel ou non);
  • la position du conjoint survivant quant à une conversion de son usufruit et/ou à un rachat de la part en nue-propriété du médié;
  • la valeur de cette part en nue-propriété;
  • l’existence d’autres titulaires de droits en nue-propriété sur le bien et la position de ceux-ci quant à un rachat de la part en nue-propriété du médié;
  • la valeur de l’usufruit du conjoint survivant;
  • sa durée de vie probable;
  • le montant des créances reprises dans le plan de règlement;
  • les frais inhérents à la vente envisagée;
  • la situation du bien.

En l’espèce, la Cour retient que:

  • la valeur estimée de droits immobiliers est théorique;
  • le fait de trouver un amateur de droits indivis en vente publique est aléatoire;
  • les frais d’une vente publique pourraient s’avérer exorbitants par rapport au produit hypothétique de la vente;
  • une occupation des biens n’est pas envisageable dans l’immédiat.

Compte tenu de ces éléments, la Cour estime qu’il y a lieu d’autoriser Monsieur X. à vendre ses parts en nue-propriété dans les biens hérités pour une somme de 10.000 € et renvoie la cause au tribunal du travail.

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Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) (5e ch.), 10 février 2022 (RG 17/197/B)

Règlement collectif de dettes – Plan amiable – Contredit – Déclaration de créance – Prescription soulevée par le médiateur – Déclaration tardive – Pécule de médiation – Plan judiciaire

Les médiés ont été admis en règlement collectif de dettes en date du 13 avril 2017. Ils sont parents de quatre enfants mineurs et perçoivent un revenu d’intégration sociale, ainsi que des allocations familiales.

Le médiateur a élaboré un plan amiable soumis à l’approbation des créanciers le 24 février 2021. Le créancier H. a réagi par courrier du 26 février 2021 en signalant que le plan ne reprenait que la créance au nom de Monsieur X. pour l’un des enfants ayant fait l’objet d’une déclaration de créance déposée par l’association d’huissiers. Toutefois, ce créancier rappelle qu’il a également adressé une déclaration de créance au médiateur pour trois autres factures concernant l’épouse de Monsieur X. et ses deux autres enfants et que celles-ci n’étaient pas prescrites au moment de l’envoi.

Le médiateur, considérant avoir reçu un contredit, répond au créancier qu’il a tenu compte de la déclaration de créance déposée par l’huissier, mais qu’il a estimé que la déclaration de créance déposée par le créancier lui-même concernait des dettes prescrites.

Sans réponse, le médiateur a déposé une requête en homologation de son plan amiable.

Le tribunal rappelle que la prescription est un incident relatif à une contestation de créance. Dans ce cas, il appartient le cas échéant aux médiés de contester les dettes, mais pas au médiateur. Ce dernier se doit de reprendre les montants déclarés dans son plan amiable, pour autant qu’ils aient fait l’objet d’une déclaration de créance en bonne et due forme dans le délai légal.

Le tribunal estime que le courrier du créancier du 26 février 2021 ne doit pas être interprété comme étant un contredit mais comme une demande de rectification d’une erreur contenue dans le plan amiable soumis à approbation. De ce fait, le débat ne doit pas se situer sur le plan de la prescription, mais de la validité des déclarations de créances reçues par le médiateur.

Le tribunal rappelle que, pour être valable, une déclaration de créance doit parvenir au médiateur dans le mois de la décision d’admissibilité. Ainsi, une déclaration complémentaire qui serait adressée une fois ce délai d’un mois écoulé ne serait pas valable. Tout créancier a l’obligation de vérifier toutes les créances certaines, liquides et exigibles dont il dispose à l’égard du médié[3]. Il a en effet un devoir de collaboration et de loyauté vis-à-vis tant du médié que du médiateur et du tribunal.

Pour rappel, l’ordonnance d’admissibilité a été rendue en date du 13 avril 2017. Le créancier a adressé une déclaration de créance dès le 24 avril 2017 tandis que l’association d’huissiers, agissant au nom du créancier, n’a adressé la sienne que le 5 décembre 2017. Le tribunal estime qu’il convient dès lors d’intégrer la déclaration de créance du créancier lui-même dans le plan amiable, qu’elle soit ou non prescrite, et d’écarter celle de l’huissier. Il appartenait au créancier de préciser que sa déclaration n’était pas définitive, une créance étant en récupération chez son huissier.

Compte tenu de la situation financière des médiés, le tribunal décide d’imposer un plan judiciaire. En effet, il rappelle les principes applicables au pécule de médiation pour lequel il existe deux limites:

1° le montant des revenus insaisissables;

2° le revenu d’intégration sociale majoré des allocations familiales. Cette limite est d’ordre public et la prime Covid est incessible.

Il n’est pas possible de déroger à la seconde limite de sorte qu’aucune retenue n’aurait dû être effectuée par le médiateur. Dans ces conditions, seul un plan judiciaire avec remise totale de dettes est possible et garantit le respect de la dignité humaine.

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Tribunal du travail de Liège (division Huy) (6e ch.), 21 février 2022 (RG 20/130/B)

Règlement collectif de dettes – Créancier hypothécaire – Absence de déclaration de créance – Crédit dénoncé – Paiement de la mensualité – Procédure de recouvrement forcé – Suspension des voies d’exécution – Non-respect de la procédure en règlement collectif de dettes – Créancier réputé renoncer à sa créance

Monsieur X. est admis en règlement collectif de dettes en date du 30 octobre 2020. Un créancier hypothécaire était indiqué dans la requête introductive d’instance.

Le médiateur informe le tribunal qu’il n’a pas reçu de déclaration de créance de la part du créancier hypothécaire et demande fixation sur pied de l’article 1675/14 § 2 du Code judiciaire.

Le tribunal rappelle les éléments suivants:

  • En date du 28 mai 2018, le tribunal de première instance dresse un procès-verbal de conciliation: «Le défendeur s’engage à verser 700 euros pendant six mois à partir du 15 juin 2018, s’engageant à vendre l’immeuble en gré à gré. En décembre 2018, C1 SA vérifiera si l’immeuble est vendu. À défaut de cette vente, elle poursuivra l’exécution. L’arriéré s’élève à la somme de 25.852,15 euros à la date du 5 avril 2018. À défaut par le débiteur de respecter ces termes et délais, la partie requérante sera fondée à entreprendre la procédure d’exécution.»
  • L’ouverture de crédit a été dénoncée en 2019.
  • Le médié est admis en RCD le 30 octobre 2020.

Or, l’article 1675/9 du Code judiciaire prévoit que le créancier doit adresser sa déclaration de créance dans le mois de l’envoi de la décision d’admissibilité. À défaut, le médiateur adresse un recommandé au créancier en lui laissant un dernier délai de 15 jours pour adresser sa déclaration. Sans réaction, le créancier est réputé renoncer à sa créance et perd le droit d’agir contre le débiteur et les sûretés personnelles. Le créancier récupère le droit d’agir en cas de rejet ou de révocation de la procédure.

Le tribunal rappelle que la jurisprudence s’accorde pour dire que tant que le crédit hypothécaire n’est pas dénoncé, l’ouverture d’une procédure en RCD n’entraîne pas la déchéance du terme, et les relations contractuelles se poursuivent.

Or, en l’espèce, le médiateur a adressé un courrier recommandé de rappel au créancier hypothécaire en date du 30 avril 2021 ainsi que le 26 juillet 2021. Le créancier hypothécaire ne prouve pas avoir adressé dans le délai légal une déclaration de créance en bonne et due forme.

Le créancier a privilégié la reprise du recouvrement forcé de sa créance. Il a notamment fait signifier un commandement de payer préalable à saisie-exécution immobilière le 4 novembre 2021, tout en reconnaissant devant le juge des saisies le caractère nul et non avenu de ce commandement en raison de l’existence de la procédure en RCD.

Le tribunal souligne que:

  • le créancier hypothécaire a poursuivi à tort une procédure en recouvrement de sa créance;
  • il a négligé de répondre au médiateur;
  • il a totalement ignoré la procédure en règlement collectif de dettes pourtant insérée dans le Code judiciaire.

En conclusion, le créancier hypothécaire doit supporter les conséquences de cette ignorance législative et est réputé avoir renoncé à sa créance et à sa garantie hypothécaire.

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Virginie Sautier, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] F. Adriaensen, «Les droits successoraux du médié», in Le créancier face au règlement collectif de dettes: la chute d’Icare?, Anthémis, 2017, p. 280 à 283.

[2] F. Adriaensen, o. c., p. 294.

[3] T. trav. Liège, 22 juin 2009, RG 07/3196.