RCD Attention, jurisprudence fraîche ! (octobre-novembre-décembre 2019)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

Cour du travail de Mons (Chambre des vacations), 2 septembre 2019 (RG 2019/BM/5)

La cour réforme l’ordonnance de non-admissibilité. Le requérant exerçait son mandat de gérant à titre gratuit. Celui-ci ne constitue donc pas une entreprise au sens de l’article I.1.1° du Code de droit économique.

Le requérant et son épouse étaient les gérants d’une société déclarée en faillite le 25 mars 2019. Ils sollicitent le bénéfice de la procédure en règlement collectif de dettes le 9 avril 2019. Pour être admis à la procédure en règlement collectif de dettes, le requérant doit, au moment du dépôt de la requête, ne pas ou ne plus avoir la qualité d’entreprise. Si le requérant a eu la qualité d’entreprise, il ne peut être admis à la procédure que six mois après la cessation de ses activités ou après la clôture de la faillite (article 1675/2 du Code judiciaire).

Le tribunal déclare la requérante admissible à la procédure. Celle-ci a exercé son mandat à titre gratuit comme prévu dans les statuts. Elle n’a donc pas la qualité d’entreprise au sens de l’article I.1.1° du Code de droit économique. Le tribunal déclare le requérant non admissible à la procédure. Celui-ci a exercé une activité rémunérée d’indépendant et a donc eu la qualité d’entreprise jusqu’en mars 2019. Il ne remplit pas les conditions d’admissibilité à la procédure. Le requérant fait appel de cette décision. L’exercice d’une activité professionnelle, au sens de l’article I.1.1° du Code de droit économique, suppose un but de lucre pour la personne physique et une certaine régularité dans l’exercice de cette activité[1]. Or, le requérant percevait, comme seul et unique revenu, une pension de retraite depuis février 2016. Il exerçait donc son mandant de gérant à titre gratuit.

La cour réforme la décision de non-admissibilité et déclare le requérant admissible à la procédure.

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Cour du travail de Bruxelles (12e ch.), 6 août 2019 (RG 2018/AB/931)

La cour réforme la décision du tribunal. Le créancier hypothécaire n’a pas introduit sa déclaration de créance dans le délai légal. Il est donc réputé avoir renoncé à l’intégralité de sa créance.

Fin septembre 2016, le requérant a souscrit un crédit hypothécaire en vue d’acquérir un appartement. Il est admis à la procédure en règlement collectif de dettes le 24 avril 2017. Le 7 juillet 2017, l’ordonnance d’admissibilité est notifiée au créancier hypothécaire. Celui-ci rentre une déclaration de créance qui mentionne uniquement le solde négatif d’un compte à vue dénoncé. Le 22 août 2017, le médiateur lui rappelle de rentrer sa déclaration de créance dans un dernier délai de quinze jours. Celui-ci lui transmet une déclaration de créance identique à la première.

Le médiateur établit donc un projet de plan de règlement amiable. Il adresse ce projet à l’ensemble des créanciers le 18 octobre 2017. Il y est clairement indiqué que le créancier hypothécaire est réputé avoir renoncé à sa créance. Le créancier hypothécaire marque son accord sur ce projet. En l’absence de contredit, le médiateur dépose une requête en homologation le 23 janvier 2018. En février 2018, le créancier hypothécaire réagit et demande la révision ou le rejet du plan de règlement. Il reproche au médiateur de ne pas avoir mentionné le crédit hypothécaire dans son courrier de rappel. Il précise également que le crédit hypothécaire ne devait pas faire l’objet d’une déclaration de créance vu que celui-ci n’avait pas été dénoncé.

Dans son jugement du 15 octobre 2018, le tribunal dit que le créancier hypothécaire ne devait pas rentrer de déclaration de créance. Il argumente que la procédure n’a pas d’effet sur les contrats de crédit en cours non dénoncés avant l’ordonnance d’admissibilité. Il considère donc que le créancier hypothécaire a uniquement renoncé aux arriérés de remboursement et non au solde non échu à la date d’admissibilité. Il invite le médiateur à relancer la phase amiable. Le requérant et le créancier hypothécaire font appel de ce jugement.

La cour rappelle les obligations qui incombent aux créanciers en matière de déclaration de créance:

  • Tout créancier doit introduire une déclaration de créance auprès du médiateur de dettes dans le mois de la notification de l’ordonnance d’admissibilité et dans la forme prévue (article 1675/9, §2 du Code judiciaire). Cette obligation vaut pour toutes les créances, exigibles ou à échoir[2], qui existent à la date d’admissibilité (article 1675/2, al. 1 CJ), l’objectif de la procédure en règlement collectif de dettes (article 1675/3, al. 3 CJ) étant de rétablir la situation financière du requérant[3];
  • À défaut de déclaration dans le délai fixé, le médiateur informe le créancier qu’il dispose d’un dernier délai de quinze jours pour déclarer sa créance. Passé ce dernier délai, ce créancier est réputé renoncer à sa créance (article 1675/9, §3 CJ). De ce fait, il perd son droit de recouvrer sa créancecontre le débiteur et les sûretés personnelles, sauf en cas de rejet ou de révocation du plan.

La créance hypothécaire devait être déclarée au médiateur dans les délais légaux. Comme le créancier n’a rentré aucune déclaration de créance hypothécaire, il est légalement présumé renoncer à sa créance.

Le médiateur a respecté la procédure aussi bien dans la forme que dans les délais.

La cour réforme donc le jugement du tribunal et déclare que le créancier hypothécaire est réputé avoir renoncé à l’intégralité de sa créance, soit les mensualités échues et non échues du crédit hypothécaire à la date d’admissibilité à la procédure en règlement collectif de dettes.

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Tribunal du travail du Brabant wallon (7e ch., audience extraordinaire de la chambre des vacations), 5 juillet 2019 (RG 16/299/B)

Le tribunal déclare abusifs les contredits des créanciers à l’égard d’un plan amiable octroyant une remise partielle de dettes sans vente du patrimoine de la requérante. Il impose un plan de règlement judiciaire avec une remise partielle de dettes en capital, sans réalisation du patrimoine immobilier de la requérante. Ce jugement fait actuellement l’objet d’un appel.

La requérante vit avec son compagnon et ses trois enfants. Elle perçoit un salaire de 2.233 €, une prime annuelle, un pécule de vacances et des allocations familiales de 647,25 €. Son compagnon, au chômage, contribue mensuellement dans le budget nourriture et entretien à raison de 150 €. La requérante est propriétaire d’un appartement. Pour acquérir ce bien, elle a contracté un crédit hypothécaire social. Sa mensualité hypothécaire est de 748,17 €. Elle estime ses charges mensuelles incompressibles à 2.925,75 €, mensualité hypothécaire comprise.

Le médiateur de dettes a établi un projet de plan de règlement amiable. Ce projet, d’une durée de sept ans, prévoit une remise de dettes partielle en capital sans prévoir la vente de l’appartement de la requérante.

Deux créanciers non hypothécaires ont émis un contredit. Ils s’opposent à la remise de dettes partielle en capital sans la réalisation du patrimoine. Pour la médiatrice et la requérante, la vente de l’immeuble serait défavorable aux créanciers non hypothécaires, vu la valeur actuelle de l’immeuble. Les deux créanciers maintiennent leurs contredits.

L’appartement de la requérante a fait l’objet d’une expertise judiciaire. L’évaluation du prix de vente est nettement inférieure au solde de la créance hypothécaire. La vente ne rencontre donc ni l’intérêt des créanciers ni l’intérêt de la requérante:

  • le solde du crédit hypothécaire ne serait pas intégralement remboursé, ce qui aggraverait l’endettement de la requérante;
  • un loyer pour un logement de cinq personnes serait supérieur à la mensualité hypothécaire, ce qui augmenterait les charges de la requérante et diminuerait le remboursement des créanciers.

Le tribunal déclare les contredits non fondés.

Le tribunal argumente que la vente des biens saisissables n’est pas une obligation:

  • la vente ne peut être abusive ni inutilement blessante pour le débiteur[4];
  • il peut être dérogé à la vente pour permettre au débiteur de mener une vie conforme à la dignité humaine et/ou en cas d’abus de droit[5].

Le tribunal décide d’imposer un plan de règlement judiciaire de cinq ans avec une remise de dettes partielle en capital sans vendre l’appartement et le paiement de la mensualité hypothécaire comme une charge incompressible depuis l’admissibilité.

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TT Brabant wallon (7e ch., audience extraordinaire de la chambre des vacations), 5 juillet 2019 (RG 12/171/B)

Le tribunal décide de clôturer anticipativement la procédure en règlement collectif de dettes de la requérante. Il constate que le créancier exerce son droit de manière abusive et fautive et accorde à la requérante des dommages et intérêts. Ce jugement est définitif.

La requérante et son époux sont admis à la procédure en règlement collectif de dettes en mai 2012. Un plan de règlement amiable est homologué en novembre 2013. Par jugement du 22 octobre 2018, le tribunal révoque le mari pour le non-respect de ses obligations. Il a constitué une société sans demander l’accord préalable du tribunal. La requérante reproche à son mari d’avoir imité sa signature sur les actes constitutifs de cette société. Le tribunal ordonne une réouverture des débats pour qu’elle consulte un avocat pour défendre ses intérêts et se retirer de cette société. Le tribunal dénonce les faits au procureur du Roi.

La requérante a respecté le plan amiable homologué et payé le crédit hypothécaire de l’immeuble familial. Ce plan prévoyait le remboursement des créances en capital hors crédit hypothécaire. Tous les créanciers avaient marqué leur accord.

En juin 2019, le solde du compte de médiation permet de payer l’ensemble des créances en principal et l’état de frais et honoraires du médiateur de dettes. La requérante a également respecté les démarches demandées par le tribunal. Elle demande donc la clôture anticipée de la procédure. Un des créanciers maintient sa demande de révocation. Il estime que la requérante n’a pas collaboré à la procédure et n’a pas donné suite aux demandes du tribunal. La requérante estime que l’attitude de ce créancier est abusive et lui réclame des dommages et intérêts.

Le juge peut, à la demande du médiateur de dettes ou d’un ou de plusieurs créanciers, révoquer la décision d’admissibilité ou le plan de règlement (amiable ou judiciaire) lorsque le débiteur:

  • a remis de faux documents pour obtenir ou conserver le bénéfice de la procédure de règlement collectif de dettes;
  • n’a pas respecté ses obligations, sans que surviennent des faits nouveaux justifiant l’adaptation ou la révision du plan;
  • a fautivement augmenté son passif ou diminué son actif;
  • a organisé son insolvabilité;
  • a fait de fausses déclarations volontaires (article 1674/15 CJ).

La révocation n’est pas automatique. Le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation: il prend en compte les circonstances, le contexte, la gravité des manquements, les efforts accomplis… Il appartient au demandeur en révocation d’établir la réalité des manquements reprochés. Le tribunal estime que les conditions de la révocation ne sont pas réunies. La requérante n’est pas responsable des manquements de son époux. Celle-ci a respecté le plan homologué et n’a commis aucun manquement.

Le tribunal examine ensuite la demande de dommages et intérêts de la requérante pour l’attitude abusive du créancier.L’abus de droit peut être défini comme le droit «exercé d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et avisée[6]».Généralement, la jurisprudence considère qu’il y a abus de droit lorsque l’exercice de ce droit:

  • cause un préjudice à un tiers;
  • est exercé en vue de préjudicier un tiers;
  • est disproportionné avec le préjudice subi par le tiers[7].

Ce créancier a marqué son accord sur le plan de règlement amiable homologué. La requérante l’a correctement exécuté. Il sera donc remboursé de l’intégralité du capital comme prévu dans le plan. Il ne peut prouver de manquement dans le chef de la requérante. De plus, son attitude entraîne un préjudice pour la requérante en termes de durée et de coûts de la procédure.

L’attitude du créancier est abusive. Le tribunal accorde donc des dommages et intérêts à la requérante. Il clôture la procédure anticipativement et invite la médiatrice à procéder aux opérations de clôture.

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Christelle Wauthier, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1]Voir «Les gérants et administrateurs personnes physiques face au nouveau droit de la faillite», P. Moineau et F. Ernotte, JLMB 2019, p. 714.

[2]Les dettes à échoir sont les dettes dont l’échéance n’est pas encore survenue. Il s’agit de la créance dont l’échéance est postérieure au jugement d’admissibilité, mais dont le fait générateur est antérieur. Par exemple: un contrat de prêt hypothécaire, une dette d’impôt, une condamnation pénale.

[3]Voir également «Le crédit hypothécaire ou le mythe prométhéen du règlement collectif de dettes», C. Bedoret, in Le règlement collectif de dettes, Larcier, CUP n°140, p. 145.

[4]Voir Doc. Parl., Chambre des représentants, S.O., 1996-1997, n°1073/1-1074/1.

[5]Voir Cass. 29 février 2008 (C.06.0142.F); Cass. 3 juin 2013 (S.11.0145.N); Civ. Liège (saisies) 24 octobre 2002, JLMB2003, p. 280 à 283.

[6]Voir Cass. 9 mars 2009 (C.08.0331.F); Cass. (2ech.) 28 septembre 2011 (P.11.0711.F); Cass. 10 septembre 1971, R.W. 1971-72, col. 321; Cass. 19 septembre 193, RCJB, 1986, p. 283.

[7]W. van Eeckhoutte, Compendium social, 2000-2001, p. 850.