Règlement collectif de dettes et mise au travail: obligatoire ?

La remise au travail des personnes surendettées semble être un objectif dans le cadre des RCD. Pourtant il s’agit là d’une injonction qui n’est pas forcément suivie d’effets. Cela reste néanmoins le cadre de pensée dans lequel notre système fonctionne. Pour illustrer cette situation, deux prises de parole: celle d’une présidente d’un tribunal du travail, persuadée des bienfaits de la valeur-travail, et celle d’une médiatrice judiciaire, confrontée à des réalités nettement plus contrastées quant au bien-fondé de ces exigences à l’égard des médiés.

Mariella Foret est présidente du tribunal du travail du Brabant wallon. Elle est amenée régulièrement à traiter des dossiers de règlement collectif de dettes (RCD) et, parmi les questions soulevées dans ces dossiers, celles relatives à la mise à l’emploi reviennent régulièrement. Comme le souligne Madame la juge Foret, «il y a les personnes qui entrent en RCD et qui ont un travail, celles qui touchent des allocations de chômage, le revenu d’intégration sociale (RIS) ou encore des indemnités d’incapacité de travail. Il y a aussi ceux qui ne sont pas du tout dans le circuit du travail, qui ne touchent aucun salaire, aucun revenu de remplacement ni indemnité. À ceux-là, on demande impérativement de s’inscrire auprès des organismes ad hoc et d’entreprendre des démarches pour trouver un travail. Si le fait d’avoir un travail n’est pas une condition pour introduire une requête et être admis à la procédure, une fois que le RCD est enclenché, la recherche d’un travail figure souvent dans les conditions que prescrivent les magistrats».

Si cette recherche active d’emploi semble être désormais la règle pour bénéficier du RCD, quand on demande à la magistrate si les médiés sont nombreux à être au travail, celle-ci reconnaît que la majeure partie ne travaille pas et touche des revenus de remplacement. Elle admet aussi que cette injonction de trouver un travail n’est pas forcément suivie d’effets. «Généralement, ce n’est pas de la mauvaise volonté: les médiés sont bien souvent en décrochage, incapables de gérer les choses de leur vie. Pour ceux qui sont encore en lien avec leur syndicat, qui sont suivis par une structure, cela peut fonctionner, mais c’est beaucoup plus difficile avec ceux qui sont sortis de tous les réseaux. Souvent, ces personnes n’ont pas de diplôme. Alors on leur demande de suivre une formation qui va leur permettre de trouver un emploi, par exemple dans les métiers en pénurie.» 

Les bienfaits du travail

Selon la juge Foret, il est nécessaire de savoir si la personne est en capacité de faire de telles recherches: il faut s’enquérir de son état de santé ou de handicap. Elle reconnaît aussi que, parmi les médiés, il y en a certains qui sont en dépression ou qui ont une addiction. Dans ce cas, «c’est un traitement ou une cure de désintoxication dont la personne a besoin pour lui permettre de se remettre en selle». Quant à l’évocation des pièges à l’emploi (voir article pages 17-18), ceux-ci seraient assez rares, selon la magistrate. «On n’oblige évidemment pas le médié à accepter un emploi qui ne serait pas correct ou illégal. De toute façon, il y a de plus en plus de contrôles, donc rester au chômage n’est pas forcément la bonne solution.»

Selon la magistrate, quoi qu’il en soit, le fait de travailler est toujours une bonne chose en soi. «Il ne s’agit pas seulement de gagner de l’argent pour rembourser les créances, mais de se réinsérer dans la société, d’avoir un cadre de vie, de respecter un horaire, de porter une tenue propre et correcte. C’est important pour chacun d’avoir une place dans la société, une reconnaissance sociale. Cela peut représenter un boost dans leur vie.»

La carotte et le bâton

Et de citer le cas de ce camionneur qui a suivi une formation de chauffeur routier et qui a retrouvé un travail grâce à la formation qu’il a suivie: «Un budget a été dégagé dans le cadre du RCD pour lui permettre de suivre cette formation qui avait un certain coût. Ensuite, une fois cet emploi décroché, on fait attention de ne pas engloutir l’ensemble des revenus ainsi gagnés dans le remboursement des dettes. Au-delà du minimum saisissable et du budget déterminé pour le médié, on a laissé à ce monsieur un pourcentage supplémentaire afin que la personne se sente récompensée d’avoir fait l’effort de se former et d’avoir trouvé un travail pour améliorer sa capacité de remboursement. De cette manière, cela améliore aussi son niveau de vie.»

Quant aux sanctions éventuelles, la magistrate estime que le tribunal ne peut imposer une sanction: «Ce ne sera le cas que si les créanciers ou le médiateur judiciaire demandent la révocation pour non-respect des conditions. On ne reprochera pas au médié de ne pas trouver, mais plutôt de ne pas chercher. Il s’agit de lui faire comprendre où est son intérêt, de le persuader que c’est un mieux pour sa situation. Si on gagne la confiance du médié, on peut lui faire comprendre ce que cette procédure peut lui apporter, au-delà de la gestion des dettes. C’est aussi le rôle du médiateur d’être un bon coach qui doit prendre en charge l’ensemble de la situation de la personne et l’aider à se remettre en selle. La plupart des médiés se retrouvent en difficulté à la suite d’un accident de vie (divorce, perte d’un emploi, maladie, décès du conjoint…), ce qui leur fait perdre la direction de leur existence. Ce sont rarement des profiteurs et donc, il faut être persuasif et non coercitif.»

Des injonctions bien plus menaçantes 

Si la juge Foret est relativement modérée dans sa manière d’envisager ce retour à l’emploi pour les personnes surendettées en décrochage, ce n’est pas forcément le cas de tous les magistrats. Certains d’entre eux sont nettement plus à cheval sur les preuves à fournir quant aux recherches actives de travail effectuées par les médiés et exigent parfois plus que ce que demandent les autorités en charge du contrôle des chômeurs, par exemple.

Un médiateur de dettes judiciaire, également avocat pour la section surendettement du bureau d’aide juridique (BAJ), nous a entretenu de cette question dans le cadre des dossiers dont il a la charge. Il a préféré garder l’anonymat[1]. «Dans le cadre du BAJ, je suis amené à aider les personnes à introduire leur requête en RCD. Déjà à ce stade je trouve important de bien expliquer la procédure pour savoir à quoi ils s’engagent, dont l’obligation de tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation financière. Depuis quelques années, les juges du travail contrôlent de plus près les recherches actives d’emploi. Ils se basent notamment sur les rapports annuels que nous rédigeons dans le cadre de notre mission de médiateur judiciaire, rapports annuels qui doivent rendre compte des démarches effectuées par les médiés. Si, à la suite de la rentrée du rapport annuel, le juge estime que les recherches d’emploi demandées ne sont pas suffisantes, il envoie un courriel au médiateur pour avertir du manquement et en informe également le médié. L’avertissement est une mise en garde et une demande de changement de comportement. Le risque est qu’en fin de procédure, les éventuelles remises de dettes ne soient pas accordées, car les conditions du RCD n’auraient pas été respectées, et alors la procédure n’aura servi à rien. J’ai déjà été confronté à cette situation dans le cadre d’un dossier, alors que le médié n’était plus considéré par l’ONEm comme étant dans l’obligation de rechercher du travail. Cela revient à priver certaines personnes de pouvoir bénéficier d’un fresh start

Quel accompagnement?

Ce que ce médiateur de dettes déplore, c’est tout d’abord que ce type d’exigences n’est pas forcément adapté aux capacités de la personne. Si elle ne parle pas bien le français, ne sait ni lire ni écrire ou encore si elle ne maîtrise pas l’outil informatique, elle aura bien des difficultés à remplir ces obligations et même à prouver les démarches entreprises. «La procédure en RCD étant essentiellement écrite et le juge ne rencontrant que rarement le médié, il faut pouvoir expliciter au juge la situation réelle de la personne et ce qui est judicieux ou non de lui demander comme démarches à effectuer.» Heureusement, le médiateur judiciaire reconnaît qu’en audience, les juges sont moins exigeants et plus ouverts à la discussion que dans leurs courriers.

Autre difficulté: le fait que les médiateurs judiciaires ne sont pas forcément formés ni rémunérés pour assurer un tel suivi. «Comment puis-je apprécier, en tant qu’avocat, si les recherches d’emploi sont suffisantes ou opportunes? J’essaye d’aider les personnes, de leur donner des pistes, mais je n’ai pas la possibilité d’effectuer ces démarches avec les médiés ni le temps d’assurer un suivi régulier. Je fais appel à un service d’accompagnement socioprofessionnel avec lequel les médiés que je leur adresse peuvent travailler sur leurs compétences, refaire un CV et être aidés à répondre à des offres d’emploi. Normalement, ce devrait aussi le cas dans les CPAS, qui disposent de travailleurs sociaux chargés de la réinsertion professionnelle. Mais les services sociaux sont saturés à Bruxelles, la rotation de personnel y est importante et ce suivi n’est pas forcément assuré.»

Dans plusieurs dossiers, ce médiateur judiciaire s’est senti clairement en porte-à-faux par rapport aux médiés. Il pense notamment à cette femme atteinte d’une affection gynécologique, dont l’existence était déjà fortement altérée par cette pathologie et qui a réussi à décrocher un emploi d’accueil qu’elle n’a pas pu garder en raison de ses problèmes de santé. Ceux-ci étaient attestés par un spécialiste. «Le juge a demandé qu’on lui communique les rapports médicaux, les résultats d’un deuxième avis et donnait son propre point de vue sur les solutions médicales à apporter à sa situation. C’était très choquant.» Autre cas: celui de cet homme de passé 60 ans, victime d’une arnaque ayant causé sa situation d’endettement, parlant à peine le français, analphabète, à qui l’on demandait de suivre une formation dans l’une des trois langues du pays et de trouver un emploi, alors qu’il ne pouvait déjà pas déchiffrer les documents de justice.

Et la dignité humaine?

Pour cet acteur plongé au cœur des procédures de RCD, il apparaît très vite lors de la prise en main des dossiers qu’un certain nombre de médiés ne seront pas capables de répondre aux exigences, qu’ils ne pourront pas rebondir ou que leur existence est déjà assez compliquée, comme c’est le cas des mamans solos, pour y ajouter des exigences en termes de remise au travail. «Certaines personnes sont plus fragiles ou doivent faire face à des difficultés qui les éloignent de l’emploi. Il faut pouvoir tenir compte de ces circonstances et composer. Il est trop facile de dire: “Si on veut, on peut!” Je ne me vois pas dire cela aux médiés dont j’ai la charge. Je ne peux pas non plus commencer à contrôler systématiquement si les démarches prescrites par le juge ont été bien été respectées. Et puis la loi sur le RCD a bien pour objectif le remboursement des dettes, mais tout en respectant la dignité humaine de la personne surendettée. Est-ce bien digne de contrôler les personnes de cette manière et de leur dénier le droit à cette procédure parce qu’elles ne seraient pas capables de répondre aux exigences dictées par les juges? J’estime que, s’il y a un remboursement, même modeste, une collaboration du médié, dans la transparence et avec de la bonne foi, on respecte l’esprit de la loi. Déjà sept ans de procédure, c’est long, avec des sacrifices importants. Il faut permettre à tous de prendre un nouveau départ et accepter que, pour certains, cela ne passera pas par l’emploi. Tout le monde n’est pas capable de travailler. C’est pourquoi la société organise une solidarité entre ceux qui peuvent travailler et ceux qui n’en sont pas capables.»

Nathalie Cobbaut

[1] Certains éléments des cas évoqués ont été modifiés.

[2] Ces dates sont fluctuantes selon les définitions, mais se situent dans cette fourchette.