Recouvrement de dettes: l’heure de la réforme a sonné

Rappel, intérêts, frais, mise en demeure, saisie… les conséquences d’un défaut de paiement plongent tout débiteur dans les tourments des procédures de recouvrement. Entre intérêts économiques et impacts sociétaux, entre rentabilité et humanité, les enjeux de ces procédures sont cruciaux tant pour le débiteur en difficulté que pour le créancier, tout particulièrement lorsqu’ils sont «privés». Le recouvrement de dettes est en tous les cas devenu au fil du temps une activité professionnelle, voire «une industrie» à part entière au sein de laquelle l’huissier de justice fait partie des acteurs emblématiques et incontournables.

Qu’il soit amiable ou judiciaire, le recouvrement représente aujourd’hui une part importante de l’activité de l’huissier de justice. Or, on le sait, l’intervention de l’huissier dans la phase de recouvrement suscite dans le chef des débiteurs de nombreuses craintes et angoisses et marque souvent les débuts de difficultés financières supplémentaires. À cela s’ajoute une image impopulaire et «corporatiste», mais surtout une réputation souvent controversée et discréditée par les dérives et les pratiques contestables, voire illégales dans le chef de certains membres de la profession.

Ces constats ne sont pas nouveaux. Toutefois d’autres éléments contribuent également à égratigner la notoriété de cette profession. Ainsi les crispations et les appréhensions du débiteur trouvent également leur source dans un manque de connaissance ou de compréhension par ce dernier non seulement de la profession même de l’huissier de justice, mais également des droits et des recours dont il dispose lors des différentes étapes du recouvrement d’impayés. Illu1Dossier Ici/début texte

En outre, on notera que, dans le cadre de sa mission de recouvrement, il est par ailleurs contraint à mettre en œuvre différentes procédures, notamment de saisie, qui, le fait n’est pas nouveau, sont consacrées dans des législations vieillissantes, voire obsolètes ou inadaptées aux réalités et aux contraintes économiques actuelles du débiteur.

Depuis plusieurs années maintenant, la profession, ayant pris conscience de ces diverses problématiques, a entamé un travail de réflexion et de réforme sur les moyens et les possibilités de remanier, voire de redessiner la fonction qu’elle sera amenée à exercer demain dans une société et un appareil judiciaire en pleine mutation.

En outre, depuis quelques mois, il souffle sur le secteur du recouvrement, mais aussi de la médiation de dettes, un vent de réforme qui agite les acteurs du recouvrement, ainsi que ceux du traitement du surendettement.

Qu’ils soient avocats, huissiers de justice, sociétés de recouvrement ou médiateurs de dettes, les enjeux sont de taille pour tous, et les discussions en coulisses ainsi que les plans de bataille font rage. Il est clair que, dans ce nouveau paysage qui devrait se dessiner pour le recouvrement, mais aussi la médiation de dettes, chacun doit veiller à assurer son positionnement et son avenir dans le respect et la sauvegarde des spécificités et des intérêts de leur profession respective.

Sur ce plan, les huissiers de justice ont bien entendu une carte à jouer. Depuis plusieurs mois, la profession multiplie les initiatives, les projets pilotes ainsi que les prises de position et autres propositions dans les matières du recouvrement, mais aussi de l’accompagnement des personnes en situation d’endettement. Mais, avant de s’y attarder, il semble important, afin de mieux cerner et comprendre les enjeux et les défis qui se profilent pour les huissiers, de faire le point et de mettre en lumière les spécificités de cette profession, son rôle, ses contraintes et ses ambivalences.

Un statut ambivalent

L’huissier de justice présente la particularité d’être un officier ministériel et public exerçant ses missions sous le statut de profession libérale. Professionnel à la double identité, il est donc d’une part fonctionnaire public investi par l’État d’une partie de l’autorité publique liée à l’administration de la justice et, d’autre part, titulaire de profession libérale tenu d’exercer sa fonction de manière indépendante et impartiale.

Une autre spécificité concerne la nature de ses activités. Dans le cadre de son office public, il se voit attribuer plusieurs missions dites monopolistiques,[1] c’est-à-dire pour lesquelles il est seul et unique compétent et qu’il est dans l’obligation d’exercer[2]. Parmi celles-ci figure notamment l’exécution forcée des titres exécutoires[3]. C’est donc à ce titre qu’il est en charge de récupérer, au moyen des procédures de saisie[4], le paiement de sommes d’argent dont serait redevable un débiteur sur la base d’un jugement ou d’une contrainte fiscale. Il est important également de rappeler que, depuis 2016, l’huissier s’est vu attribuer un rôle central dans la procédure de recouvrement extrajudiciaire des dettes d’argent non contestées[5] contractées dans le cadre de relations B to B[6] (voir article p. 19-20).

En outre, le Code judiciaire lui attribue d’autres missions cette fois à titre résiduel, c’est-à-dire qu’il a le choix de les exercer ou pas et qu’elles sont ouvertes à d’autres opérateurs. Outre une série de mandats judiciaires[7], c’est dans ce cadre que l’huissier est autorisé à exercer, à côté des avocats et des sociétés de recouvrement, l’activité de recouvrement amiable de dettes auprès des consommateurs, telle qu’elle est réglementée par la loi du 20 décembre 2002[8].

L’huissier exerce donc des missions d’ordre tantôt public, tantôt privé, et ce, de manière indépendante et impartiale à l’égard tant des parties que de l’État.

Cette spécificité prend par conséquent encore une dimension supplémentaire dans le cadre du recouvrement de créances. L’huissier est en effet le seul opérateur à être habilité dans toutes les étapes du recouvrement de dettes. Or il s’agit là d’une prestation de service à la fois d’ordre privé par sa phase amiable et à la fois d’ordre public par sa phase judiciaire. Cette situation est souvent d’ailleurs source de confusion dans le chef du débiteur qui peine à identifier correctement à quel titre l’huissier intervient et, par conséquent, à faire valoir correctement ses droits et ses recours.

Enfin l’huissier de justice est soumis à des règles déontologiques et à un régime disciplinaire spécifique au fonctionnement jugé trop corporatiste. Malgré une réforme importante[9] de 2014 qui a renforcé la procédure disciplinaire à l’égard des huissiers, la composition des instances disciplinaires, la procédure ainsi que le sort et l’issue réservés aux plaintes sont loin de convaincre de leur impartialité et de leur indépendance, permettant dès lors de douter de leur effectivité et de leur efficacité.

Une profession de mandat

Quelle que soit sa mission, l’huissier n’agit jamais d’initiative: il est donc par essence un homme de mandat. Mais là encore, la nature de ce mandat est particulière. En effet, l’huissier, en raison de son statut, n’est pas un mandataire ordinaire, mais il est soumis aux règles légales, déontologiques et éthiques propres à sa fonction, dont notamment le devoir d’impartialité et d’indépendance.

De sorte que, peu importe sa mission, il ne cesse jamais d’être un officier public et ministériel indépendant et impartial, garant du droit et des intérêts de toutes les parties. C’est au nom de cette spécificité liée à son mandat que l’huissier est ainsi autorisé à refuser d’intervenir lorsqu’il estime que la mission dévolue nuirait de manière disproportionnée aux intérêts d’une des parties[10].

C’est également sur cette base qu’il se voit imposer un devoir déontologique général d’information à l’égard de toutes les parties, consacré dans le Code judiciaire[11], lequel prévoit qu’«en cas de risque d’insolvabilité du débiteur, il en informera le créancier afin de permettre à ce dernier d’apprécier correctement l’opportunité de faire procéder à des mesures d’exécution et il informera le débiteur des possibilités qu’offre le règlement collectif de dettes».

Dans le cadre du recouvrement de dettes, cette particularité est régulièrement remise en question, voire égratignée dans la pratique par l’acharnement de certains créanciers, par les dérives de certains huissiers, mais aussi par une méconnaissance des procédures de recouvrement conduisant généralement le débiteur à ne voir l’huissier de justice que comme le bras armé du créancier dont il poursuit aveuglément les seuls intérêts.

Un rôle social?

Les travaux parlementaires du projet de loi du 9 juillet 2013 modifiant le statut des huissiers de justice[12] mentionnent bien qu’«il incombe à l’huissier de justice de fournir les informations nécessaires aux débiteurs et de les orienter, au besoin, vers les services d’aide légale, ou le CPAS, ou de les aviser de l’existence de la procédure de médiation collective de dettes».

Sur ce point, on est en droit d’attendre raisonnablement et légitimement que la majorité des huissiers de justice, en contact avec des personnes vulnérables ou en difficulté, veillent à les informer ou à les orienter adéquatement. Toutefois, compte tenu de la diversité, mais aussi parfois de la complexité des conditions d’accès aux différentes aides sociales et matérielles et aux services compétents, il serait sans doute utile que les huissiers puissent connaître les outils regroupant ces informations et qu’ils puissent les renseigner adéquatement aux débiteurs.

En outre, face au risque d’insolvabilité du débiteur, l’huissier de justice a également un devoir d’information à l’égard du créancier pour lequel il intervient. Il est tenu de fournir des informations circonstanciées sur les dettes connues du débiteur afin de permettre au créancier d’évaluer préalablement son degré de solvabilité et, par conséquent, la pertinence, notamment économique, mais aussi éthique de poursuivre le recouvrement.

Une profession aux enjeux économiques

La question du coût engendrée par l’intervention de l’huissier pose souvent question et est régulièrement source de contestations et d’incompréhensions. L’huissier ne perçoit pas de salaire, d’indemnité ou autre défraiement de l’État, mais il se rémunère pour les prestations et actes accomplis.

Mais là encore, les choses ne sont pas simples.

Ainsi, lorsqu’il intervient dans le cadre de ses missions d’ordre public, l’huissier est tenu de percevoir des honoraires et émoluments légalement fixés par l’arrêté royal du 30 novembre 1976[13]. Ce tarif est donc d’application pour les actes posés dans le cadre du recouvrement dit judiciaire. On notera sur ce point, que, depuis maintenant plusieurs années, tous les acteurs concernés s’accordent pour pointer la nécessité d’une réforme de cet arrêté datant de plus de quarante ans. Le caractère inadapté, complexe, opaque et inintelligible de ce tarif n’est plus à démontrer. En outre, il est source d’interprétations et d’applications divergentes entre professionnels.

Parmi ces coûts, sont souvent épinglés le droit de recette, payé par le débiteur lorsqu’il s’acquitte du montant total de sa dette entre les mains de l’huissier, et le droit d’acompte que l’huissier perçoit à chaque paiement échelonné reçu du débiteur. Ce droit d’acompte entraîne l’allongement du temps de remboursement et un coût supplémentaire non négligeable. En outre, il pénalise les débiteurs qui effectuent de faibles versements. Une proposition de loi datant de 2019 avait d’ailleurs été introduite en vue de diminuer ces droits de moitié, voire d’interdire ces frais lorsque les remboursements sont inférieurs à 50 euros[14]. De manière plus globale, un projet de réforme du tarif semble être, en tous les cas, dans les priorités du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne.

Par contre, lorsqu’il intervient en dehors de ses activités monopolistiques, l’huissier n’est pas soumis à une tarification légalement imposée. Dans ce cas, il est donc libre de déterminer lui-même ses honoraires en négociant avec le client, compte tenu de la complexité, de la durée, de l’urgence de l’acte ou de la prestation à accomplir. C’est notamment le cas dans le cadre du recouvrement de dettes amiable.

En outre, n’oublions pas que l’huissier est titulaire de profession libérale, il est donc tenu de supporter toutes les obligations et les charges administratives, sociales, fiscales propres à son statut d’indépendant (impôts, cotisations sociales…). À quoi vient s’ajouter une charge fiscale importante (droits d’enregistrement, droits d’écriture, TVA à 21%[15]) venant de fait augmenter le coût de l’intervention de l’huissier et se répercutant lourdement sur les justiciables.

Entre une tarification complexe et inadaptée, un coût de gestion important, une charge fiscale croissante et une diminution progressive de ses missions judiciaires, l’huissier de justice a promu le recouvrement (notamment amiable) de dettes au titre d’activité essentielle lui permettant d’exercer son ministère et, par conséquent, d’assurer bien souvent la viabilité et la pérennité économique de son étude.

Toutefois, devant faire face à une concurrence importante dans ce secteur, la profession en reconnaît les dérives et les effets pervers, notamment avec le recours par certains à des conventions de type «no cure, no pay». Par cette pratique, l’huissier propose un tarif forfaitaire par dossier. En cas d’insolvabilité du débiteur, le créancier ne paye que le montant forfaitaire. En cas de solvabilité, l’huissier récupère directement auprès du débiteur les frais de son intervention qu’il apprécie de manière arbitraire (fréquence des actes, montants réclamés, tentatives d’exécution…). Or il s’agit d’une pratique contraire aux dispositions du Code judiciaire (art. 520, §2 et 522, § 3 C. jud.) et condamnée par la Chambre nationale des huissiers de justice (voir l’interview de Quentin Debray, pages 16 à 18). En effet, l’huissier étant engagé plus que de raison dans la solution du litige, car il y est financièrement dépendant, il y a évidemment un risque important qu’il perde toute impartialité, mettant à mal par conséquent les lignes de la probité, de la proportionnalité et de l’indépendance qui sont l’essence même de son statut.

Entre manque de réforme et pratiques en question

Le recouvrement de dettes, ce sont aussi des procédures et des pratiques qui peuvent engendrer certaines difficultés ou qui suscitent questionnements et controverses. En voici quelques exemples.

Afin de faire face à des difficultés financières, le consommateur a toujours la possibilité de s’acquitter des plans de paiement au profit de son ou ses créanciers. Cela devrait permettre au débiteur, à plus ou moins court terme, d’apurer sa dette tout en évitant, si possible, le passage par la case justice. Au fil du temps, le recours au plan de paiement s’est d’ailleurs étendu, voire même institutionnalisé. Mais en réalité, face à l’urgence et sous la pression du créancier (et de l’huissier), le consommateur se retrouve souvent contraint d’accepter des plans qui créent ou risquent de créer des déséquilibres irréversibles dans un budget souvent déjà fortement fragilisé.

Autre problématique observée: le fait de faire payer par le consommateur des coûts et des frais indus pour le recouvrement de la créance par l’huissier. En effet, seuls les montants convenus dans le contrat dont découle la dette doivent être réclamés au débiteur. Lors de l’entrée en vigueur de la loi en matière de recouvrement amiable[16], profitant d’un manque de clarté concernant son champ d’application, certains huissiers n’hésitaient pas à mettre à charge du consommateur sans justification une série de frais issus du tarif: frais de sommation, droits d’acompte, droits de recette, droits de dossier… La Chambre nationale des huissiers de justice est intervenue à la suite du législateur pour faire cesser ces pratiques. Toutefois diverses autres pratiques contestables sont encore à observer, soit le fait de réclamer au débiteur des frais et coûts non prévus dans les conditions contractuelles du créancier, par exemple des frais de mise en demeure dans le cadre du recouvrement d’une redevance de stationnement, ou encore des frais et coûts non légalement autorisés, tels que prévus dans des clauses générales des créanciers considérées comme abusives.

Autre constat en matière de recouvrement judiciaire: le recours à la saisie-exécution mobilière comme moyen de pression. Il est en effet constaté qu’un pourcentage dérisoire de saisies mobilières initiées aboutissent à la vente publique de biens. La proportionnalité de ventes dites déficitaires dès lors qu’elle permet à peine ou au maximum de couvrir les frais de la procédure est en effet majoritaire compte tenu des coûts que cette procédure entraîne, de la valeur souvent peu significative des meubles saisis, des conditions peu optimales de la vente publique.

Le constat est sans appel. Nombre de dossiers de médiation de dettes font état de débiteurs aux prises à des saisies mobilières à répétition, les mettant sous pression de devoir concéder pour chacune d’hypothétiques plans de paiement qui rapidement deviennent ingérables. L’accumulation à répétition de frais d’exécution entraîne irrémédiablement une aggravation de l’endettement, voire un basculement dans le surendettement.

Si les saisies mobilières constituent généralement le seul moyen d’action dont dispose l’huissier à leur égard, celui-ci est tenu d’éviter d’entamer une procédure d’exécution trop onéreuse ou disproportionnée. Il est de son devoir d’informer le créancier dès que possible du maigre résultat que la procédure d’exécution forcée entamée va lui apporter. Il en va de sa responsabilité. La théorie de l’abus de droit pourrait s’appliquer à cette situation, mais force est de constater que ces recours sont peu effectifs, car méconnus du débiteur et nécessitant une lourde et onéreuse procédure devant le juge des saisies.

Autre solution envisageable: le Code judiciaire prévoit que l’huissier rédige un procès-verbal de carence lorsque les biens saisissables sont d’une valeur manifestement insuffisante pour couvrir les frais de procédure. Cet acte met fin à la procédure, mais cette pratique est très peu répandue.

Quel avenir pour le recouvrement de dettes?

Depuis quelques mois, les secteurs du recouvrement de dettes, mais aussi de la prévention et du traitement du surendettement sont en ébullition. Les huissiers n’ont pas manqué de projets ni d’initiatives ces derniers temps, lesquels ont suscité de nombreuses réactions et prises de position parmi les organisations et les acteurs de la lutte contre la pauvreté et du traitement du surendettement.

On mentionne notamment les initiatives mises en place par certaines études d’huissiers comme MyTrustO, Modero plus, qui proposent aux citoyens un service de «médiation de dettes amiable», moyennant paiement. Si, depuis près de trente ans, la médiation de dettes amiable reste l’apanage des services publics et privés agréés (accessibles gratuitement pour le débiteur), les huissiers, par la mise en place de ces services, lui manifestent un intérêt croissant et tentent de se positionner clairement dans ce créneau.

On épinglera également le projet porté un moment par la Chambre nationale de mise en œuvre d’une plateforme de communication (CPC) permettant aux CPAS et aux huissiers de justice, avec le consentement de la personne, d’échanger des informations sur ses dettes impayées[17].

Si la volonté qui a animé ces projets est à souligner, ils suscitent cependant maintes critiques et posent un certain nombre de problèmes notamment au niveau du positionnement multiple de l’huissier de justice, au niveau du respect des droits du débiteur et de sa dignité humaine, mais aussi de la protection en matière de données personnelles. Ils laissent également perplexe quant à la plus-value réelle et certaine apportée pour chacune des parties concernées quant à l’effectivité des solutions qu’elles offrent aux ménages financièrement précaires et quant à leur impact à endiguer durablement des situations d’endettement.

Dans les cartons des huissiers de justice figure également l’extension de la procédure de recouvrement des dettes d’argent non contestées aux relations entre une entreprise et un consommateur (voir article p. 20-21).

Par conséquent, afin d’éviter cet effet qui enfonce davantage le débiteur dans les tréfonds du surendettement, il semblerait plus adéquat et pertinent de réfléchir à des procédures qui favorisent avant tout le règlement amiable des dettes et surtout qui, dans un juste équilibre, n’alourdissent pas de manière disproportionnée le coût du recouvrement.

Des réformes attendues

À cet égard, le vice-Premier ministre fédéral Pierre-Yves Dermagne, en charge notamment de l’économie, a élaboré un avant-projet de loi portant insertion du livre XIX «Dettes du consommateur» dans le Code de droit économique, qui prévoit des modifications légales importantes dans le recouvrement amiable des dettes du consommateur.

Ce projet comporte plusieurs mesures principales:

– la gratuité du premier rappel de paiement;

– l’application d’un délai minimum après l’envoi du premier rappel avant lequel les clauses indemnitaires ne peuvent s’appliquer;

– le plafonnement des clauses indemnitaires et des intérêts;

– l’extension du contrôle de l’inspection économique aux huissiers de justice et des avocats pour leur activité de recouvrement amiable de dettes du consommateur.

Les travaux parlementaires sur ce projet sont attendus pour l’automne et seront importants pour l’avenir du recouvrement et, par conséquent, pour celui des différents opérateurs concernés. Il va de soi que l’ensemble des organisations et des acteurs actifs dans la lutte contre la pauvreté et le traitement du surendettement sera particulièrement attentif aux discussions et aux débats qui suivront.

Toutefois, si une réglementation limitant et plafonnant les indemnités et intérêts dus par le débiteur, comme le propose l’avant-projet mentionné ci-dessus, constitue une avancée importante, elle doit être en tous les cas le premier jalon d’une réforme globale du recouvrement portée notamment par les recommandations suivantes:

  • une modification de l’article 1254 du Code civil[18] en prévoyant l’imputation des paiements par le débiteur en priorité sur le capital et puis seulement sur les intérêts et pénalités;
  • une interdiction formelle dans le Code judiciaire de la pratique du «no cure no pay»;
  • une réforme de l’arrêté royal du 30 novembre 1976 fixant le tarif des actes accomplis par les huissiers de justice en matière civile et commerciale, notamment par une plus grande transparence et lisibilité de la terminologie et des modes de calcul;
  • une adaptation des dispositions du Code judiciaire afin de mettre fin à la pratique des saisies-exécutions mobilières à répétition (notamment par une modification de l’article 1524 du Code judiciaire);
  • une actualisation de la liste des biens insaisissables de l’article 1408 du Code judiciaire aux besoins nécessaires et indispensables au mode de vie actuel;
  • une simplification procédurale du recours du débiteur devant le juge des saisies en cas de pratiques abusives, de saisies de biens insaisissables ou ne relevant pas de sa propriété;
  • une obligation de dresser un procès-verbal de carence en cas d’insolvabilité constatée et de procéder à son enregistrement dans le Fichier central des avis de saisie.

Enfin, depuis près de trente ans, la médiation de dettes amiable s’avère être un outil efficace pour aider et accompagner les débiteurs à faire face à leur endettement et à éviter des frais de recouvrement élevés. Toutefois, au vu de l’actualité et de la crise sociale et financière qui se profile de manière imminente, la nécessité de renforcer le statut et les moyens légaux, humains et financiers de la médiation de dettes n’a jamais été aussi déterminante.

Sabine Thibaut, juriste auprès de l’Observatoire du crédit et de l’endettem

[1] Art. 519, §1er C. jud.

[2] Sauf si des règles déontologiques ou légales l’autorisent à refuser (conflit d’intérêts, d’illégalité… ).

[3] Jugement, contrainte, acte authentique.

[4] Saisie-arrêt, saisie mobilière, saisie immobilière.

[5] Telle que réglementée par les articles 1394/20 et suivants du Code judiciaire.

[6] Business to business: dette contractée par deux entreprises dans le cadre de relations professionnelles.

[7] Médiateur de dettes amiable ou dans le cadre du règlement collectif de dettes, administrateur de biens/de personnes, curateur à succession vacante…

[8] Loi relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur, MB, 29 janvier 2003, p. 3644.

[9] La loi du 7 janvier 2014 modifiant le statut des huissiers de justice, MB, 22 janvier 2021, p. 5204. Cette matière est désormais régie par les articles 533 à 548 du Code judiciaire.

[10] Art. 520, § 1er, 4 ° C. jud.

[11] Art. 519, § 3 C. jud.

[12] Doc. parl., Ch. repr. 2012-2013, n°53-2937/001, p. 14-15.

[13] Arrêté royal du 30 novembre 1976 fixant le tarif des actes accomplis par les huissiers de justice en matière civile et commerciale ainsi que celui de certaines allocations, MB, 8 février 1977, p. 1476.

[14] Doc. parl., Ch. repr., 55/0340/00.

[15] Depuis le 1er janvier 2012.

[16] Loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur, MB, 29 janvier 2003, p. 3644.

[17] Pour plus d’informations et une analyse critique de ces projets: avis commun BAPN, OCE, CAMD, SAM, «Un avis critique sur les solutions et initiatives pour lutter contre le surendettement des particuliers», 7 juillet 2021, disponible sur le site de l’OCE, nos publications.

[18] Article 5210 nouveau du Code civil qui entrera en vigueur en janvier 2023