Redorer le blason de l’amiable

La médiation amiable de dettes ou Rémus, le frère délaissé

 

Tels Romulus et Rémus choisissant ensemble de fonder la plus grande cité de leur époque, médiation amiable de dettes et règlement collectif de dettes (RCD) ont vocation à lutter côte à côte contre l’endettement des particuliers. Comme dans la légende, un seul héritera de la lumière au détriment de son frère… La procédure judiciaire de RCD est en effet plébiscitée. Or, elle ne convient pas forcément à tout type d’endettement ou de situation sociale. Une autre solution préalable, concurrente ou alternative, existe. C’est la médiation amiable de dettes réalisée par les services de médiation de dettes agréés (SMD). Aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire d’offrir aux citoyens une solution adaptée permettant de faire face à un surendettement. Il s’agit de redonner ses lettres de noblesse à cet outil qu’est la médiation de dettes pouvant avoir l’impact nécessaire et proportionné au but poursuivi.

 La médiation de dettes et le RCD ont un objectif identique: la recherche et la négociation avec les créanciers d’un plan d’apurement des dettes. Ces dernières sont prises en compte dans leur globalité afin de permettre leur remboursement au maximum des capacités du débiteur, tout en lui assurant de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ainsi, ce qui guide l’une et l’autre procédure est avant tout la dignité humaine du débiteur et le rétablissement de sa situation financière. Une fois ceux-ci pris en compte et garantis, il convient de tenter, dans la mesure du possible, de trouver un plan pour le remboursement de ses dettes. Ces deux procédures sont donc orientées «débiteur», tout en étant soucieuses des créanciers.

Si l’on compare avec la procédure de demande de termes et délais, conformément à l’article 1244 de l’ancien Code civil qui n’envisage le problème que sous l’angle de la créance et, de ce fait, du seul lien entre le créancier et le débiteur, ces deux procédures effectuent un renversement de la perspective du paiement de la dette: d’une analyse du créancier pris isolément, ces deux procédures abordent le problème via l’analyse de la situation d’endettement globalisée du débiteur.

Les effets négatifs de l’absence d’un cadre juridique

Le RCD et la médiation de dettes amiable sont pourtant des procédures très différentes, avec des inconvénients et des avantages inhérents à chaque procédure. L’inconvénient le plus significatif de la médiation amiable est l’absence d’un cadre juridique procédural, même minime, ce qui génère des effets négatifs, répertoriés au nombre de quatre.

  • Le premier effet négatif est l’inexistence d’un mécanisme de concours entre les créanciers. La médiation de dettes amiable n’impose pas une pluralité de créanciers ni un accord collectif pris avec l’ensemble de ceux-ci. D’ailleurs, une partie importante des SMD négocie des plans d’apurement avec chaque créancier personnellement. La procédure n’étant pas obligatoire pour les créanciers, chacun d’eux est en droit de refuser de participer à cette procédure.

Or, comment, pratiquement, mener une médiation amiable de dettes réussie avec seulement certains créanciers, en laissant d’autres créanciers continuer leur procédure de recouvrement générant des frais, réclamant des paiements plus importants que ceux proposés? L’habitude des créanciers est celle de poursuites désordonnées pour obtenir un paiement volontaire, même très partiel de la créance. Souvent, le médiateur n’est pas aidé par le médié qui a, de bonne foi et la plupart du temps, essayé préalablement de négocier seul des plans de paiement avec ses créanciers avant de se rendre compte que l’intervention d’un professionnel était nécessaire. Malheureusement, les plans de paiement proposés sont fréquemment déraisonnables et le médiateur intervient après plusieurs promesses de paiement non tenues.

En RCD, la suspension des voies d’exécution pour les dettes d’argent est couplée à un délai de six mois, prorogeables de six mois, laissé au médiateur pour l’établissement d’un plan d’apurement ou le dépôt d’un procès-verbal de carence (art. 1675/11 CJ) – sans parler de la jurisprudence liégeoise des 500 jours accordés par le tribunal au médiateur pour élaborer son plan. Cela démontre la nécessité d’un temps nécessaire pour parvenir à une solution réaliste pour le traitement de l’endettement.

  • Le second effet d’un manque d’encadrement juridique est malheureusement la méconnaissance de l’existence même de la médiation amiable de dettes et, par conséquent, de son utilité. Le nombre de sociétés de recouvrement, d’huissiers et de créanciers connaissant l’expertise et le devoir d’impartialité d’un SMD est minime, la plupart estimant qu’il s’agit d’un service social comme un autre service (plus encore quand le SMD fait partie d’un CPAS), intervenant ainsi dans le seul intérêt du débiteur.

Or, le médiateur de dettes se doit d’être indépendant et impartial (art. 1675/17, §2, CJ), même s’il n’est pratiquement exclusivement en contact qu’avec le débiteur. Il convient donc de mettre en évidence ces qualités pour les médiateurs de dettes tant amiables que judiciaires. Il est essentiel de noter que les SMD sont repris dans la liste légale des médiateurs de dettes judiciaires (art. 1675/17, §1er, CJ) et, dans les faits, plusieurs SMD ou CPAS agissant par le biais de leur SMD sont désignés par les tribunaux du travail dans le cadre de RCD.

Le législateur semble, depuis peu, prendre conscience de l’attrait que peuvent avoir les SMD dans le traitement de l’endettement (voir article sur le projet de texte sur la médiation amiable). Tout en ne réglementant pas (encore?) le processus de médiation amiable de dettes, le législateur commence à prendre timidement en compte cette solution alternative au RCD, comme constaté en matière d’énergie[1], et envisage éventuellement d’en assurer une consécration dans le cadre du recouvrement amiable de créances[2]. Du côté des tribunaux, certains juges du tribunal du travail examinent également si un règlement amiable de l’endettement est envisageable et renvoient vers cette possibilité si elle n’a pas été tentée avant l’admissibilité en RCD.

  • Le troisième effet de l’absence d’une réglementation de la procédure est l’absence d’un contrôle juridictionnel, potentiel ou automatique. Ce faisant, les créanciers comme le débiteur n’ont pas un référent «judiciaire» et le symbole qui s’y rattache. Ainsi, l’absence d’un contrôle juridictionnel laisse craindre des dérives dans le chef du débiteur et d’un manque de responsabilité du médiateur.

À l’inverse, le contrôle juridictionnel du RCD – notamment dans le cas de l’admissibilité à la procédure (qui n’est, rappelons-le qu’un «ticket d’entrée»), de l’homologation d’un plan amiable de règlement, d’une demande en révocation ou de la prise d’une décision à la suite du dépôt d’un procès-verbal de carence – rassure les créanciers. Ce sentiment de sécurité est renforcé par les autorisations nécessaires à solliciter au tribunal en cas de RCD, notamment pour une gestion anormale du patrimoine (art. 1675/7 CJ).

  • Le quatrième effet concerne spécifiquement «le nerf de la guerre»: l’argent. Le RCD implique automatiquement un compte bancaire de médiation géré par le médiateur sur lequel les revenus du débiteur sont versés et ce, tant qu’une décision mettant fin au RCD n’a pas été prise. Cela rassure là aussi le créancier et permet au débiteur d’obtenir, chaque mois, sur son propre compte bancaire, un pécule permettant de faire face à ses charges reprises dans son budget. La scission entre la vie d’avant la décision d’admissibilité et celle d’après semble plus simple. En médiation de dettes, la «gestion budgétaire» est loin d’être automatique et doit être, en principe, établie pour une courte durée.

Les avantages de la médiation amiable

 On peut en revanche mettre en avant quatre avantages importants à la médiation de dettes par rapport au RCD.

  • Le premier avantage, et non le moindre, de l’amiable est la gratuité tant pour le médié que pour les créanciers. En RCD, l’intervention du médiateur de dettes est payante. En moyenne, ses honoraires, qui sont payés prioritairement par rapport aux créanciers repris à la procédure, sont de plus de 60 € par mois. Légalement, ce montant est à la charge du médié (sauf intervention exceptionnelle du SPF Économie) ou, plutôt, à la charge de la médiation. Cela signifie que les retenues pratiquées sur les revenus du médié par le médiateur servent, pour partie, à apurer ses honoraires et frais. Par conséquent, les créanciers doivent renoncer à une partie, parfois substantielle, de leur créance et paient donc la facture du RCD. Certains créanciers l’ont bien compris: «L’expérience nous a appris que les plans de règlement qui sont dégagés par les médiateurs ou décidés par les tribunaux du travail ne permettent un remboursement de la totalité du principal que dans une minorité des cas, et que la partie des intérêts et frais de nos créances n’est que très rarement remboursée […] Atradius CIP tente d’éviter autant que possible d’acculer ses débiteurs et les pousser au règlement collectif de dettes»[3].
  • Le deuxième avantage est en lien avec l’inconvénient majeur. Il s’agit de la flexibilité découlant de l’absence de règles procédurales. Par l’absence de mesure contraignante quant au travail du SMD, celui-ci est libre de prendre en compte les spécificités locales et de trouver des arrangements adaptés avec les créanciers de sa région. L’effet le plus important de cette flexibilité est l’absence d’une condition d’endettement structurel comme c’est le cas pour être admis à la procédure RCD. Certes, la médiation par un SMD nécessite un surendettement, mais elle est applicable à un faible endettement ou, mieux encore, à un surendettement «en germe» ou latent (pensons notamment à l’endettement déjà théoriquement présent, car des charges annuelles, telles que l’impôt ou une taxe communale ou régionale, sont prévues et aucune somme n’a été conservée mensuellement par le débiteur pour y faire face). La médiation permet alors de résoudre le problème financier le plus rapidement possible et d’éviter que le débiteur entraîne d’autres créanciers dans sa chute vers l’«endettement structurel».
  • Le troisième avantage est le caractère juridico-social de l’intervention. En effet, la présence d’un travailleur social pour l’établissement du budget et la négociation du plan ainsi que son suivi permet au débiteur de sortir de sa situation d’endettement mais également de tenter de modifier son rapport à son budget et de solliciter les aides sociales qui sont disponibles. En RCD, le médiateur n’a pas pour vocation de prévenir la rechute du surendettement à la sortie du RCD, voire en cours de RCD. D’ailleurs, un SMD nous a permis de constater que, sur ses 33 dossiers de médiation amiable pour l’année 2020, huit dossiers concernaient des personnes dont un RCD était en cours; il en a été sensiblement pareil pour l’année 2019. Parfois, de l’initiative du médiateur ou du tribunal, des guidances budgétaires sont imposées au médié en RCD, ce qui démontre l’importance de la présence d’un travailleur social. De plus, la présence d’un juriste au sein d’un SMD permet d’analyser la légalité des montants réclamés. Ce faisant, il fera souvent diminuer l’endettement en informant des prescriptions acquises à soulever, des manquements commis par le prêteur dans l’octroi d’un crédit à la consommation[4] et des nombreux frais de recouvrement illégaux à contester. Il pourra également conseiller, au besoin, l’introduction de certaines procédures judiciaires (ex.: demande de parts contributives, etc.).
  • Le quatrième avantage, et non le moindre, est l’intervention du SMD qui offre une solution collective plus large que le RCD sans dépenser et subir une longue procédure judiciaire. Ainsi, la médiation amiable de dettes peut être un préalable au RCD, lequel n’est qu’une solution proposée directement ou après une première solution envisagée mais qui a échoué. La médiation de dettes est un préalable intéressant au RCD, étant donné qu’un budget a déjà été dressé par un assistant social et qu’un plan d’apurement amiable a déjà été tenté mais refusé par certains créanciers qui reprennent les mesures de recouvrement.

Arnaud Galloy et Pablo Salazar,
juristes au Gils

 (texte retravaillé par Nathalie Cobbaut à partir de la contribution de ces deux auteurs à l’ouvrage Au cœur de la médiation de dettes, Ouvrage collectif, Anthemis, 2022, p. 251-280 – l’article présente également des cas concrets. Il propose ensuite des pistes d’amélioration de la médiation amiable de dettes afin de la revaloriser et d’augmenter ses chances de succès, et ce, dans l’intérêt de tous).

[1] Article 30 de l’arrêté du gouvernement wallon relatif aux obligations de service public dans le marché de l’électricité.

[2] Articles 8, 14 et 16 de la proposition de loi portant des dispositions diverses relatives au paiement de la facture et modifiant la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur, Ch. repr., sess. 2019-2020, n°0267.

[3] Q. Lorsignol, «Chapitre 8. Le règlement collectif de dettes vu par un créancier», in Le créancier face au règlement collectif de dettes: la chute d’Icare?, Limal, Anthémis, 2017, p. 239; dans le même sens: C. Jeanmart et V. Sautier, «Négociation en médiation non judiciaire: points de vue de médiateurs et de créanciers», Les Échos du crédit et de l’endettement, mars 2018, n°57, p. 22.

[4] Il s’agit principalement d’analyser le dossier de crédit et de contrôler que le prêteur a correctement analysé la capacité de remboursement du candidat emprunteur avant de lui octroyer le crédit à la consommation comme lui imposent les articles VII.69 et VII.77 du Code de droit économique. En cas de manquement avéré, le SMD formulera une proposition de réduction de la créance afin d’éviter une procédure judiciaire pour revendiquer l’application de l’article VII.201 du Code du droit économique.