Une précarité énergétique qui va aller croissant

La précarité énergétique, ce n’est pas nouveau en Belgique. Mais avec les dernières évolutions des prix de l’énergie liées à la reprise économique post-Covid et à la guerre en Ukraine, la situation des ménages ne va pas aller en s’améliorant. Une situation tendue qui nécessite des aides adaptées.

Selon le «Baromètre de la précarité énergétique et hydrique – Analyse et interprétation des résultats 2019», publié en 2021 par la Fondation Roi Baudouin, plus d’un ménage sur cinq (20,7%) était en précarité énergétique en 2019, donc bien avant la pandémie de Covid-19. À l’époque, ce constat était fait alors même que le climat était doux et une baisse importante du tarif payé par les ménages pour le gaz naturel était observée.

Selon ce Baromètre, 15,1% ont une facture énergétique trop lourde par rapport aux revenus disponibles, un chiffre qui révèle la précarité énergétique mesurée. Qui plus est, 4,2% ont une facture énergétique anormalement basse par rapport aux ménages semblables, ce qui révèle cette fois une précarité énergétique cachée, avec pour ces ménages la nécessité de faire des économies drastiques sur ce poste ou encore celle de renoncer à se chauffer. Enfin, 3,6% craignent ne plus être capables de chauffer correctement leur logement pour raison financière (précarité énergétique ressentie).

Des disparités régionales et sociales

Selon les Régions, les ménages sont touchés différemment: le taux le plus élevé de précarité énergétique se situe en Wallonie (28,3% des ménages), avec pour facteurs explicatifs le niveau plus faible de revenus, la taille et l’état des logements, des tarifs du gaz naturel plus élevés et une plus forte dépendance au mazout de chauffage. En Région bruxelloise, 27,6% des ménages sont concernés, avec les revenus les plus bas et une plus forte proportion de familles monoparentales et de locataires. La taille plus réduite des logements et leur mitoyenneté compensent les autres facteurs plus négatifs. Enfin, en Flandre, ce sont 15,1% des ménages qui sont touchés par ces difficultés de paiement des factures d’énergie.

Quant au type de personnes les plus vulnérables, les femmes seules avec enfants et les seniors isolés sont les plus touchés: en effet 42,8% des isolés âgés et 31,7% des familles monoparentales sont en difficulté. Le travail ne protège pas de la précarité énergétique et la classe moyenne inférieure est également concernée. Environ 19% des ménages avec au moins un revenu du travail éprouvent des problèmes avec leurs factures d’énergie. Parmi les ménages relevant des déciles 4 et 5 (le décile 1 reprenant 10% des ménages aux revenus les plus bas, le décile 10 recouvrant 10% des ménages aux revenus les plus élevés), 21,9% connaissent la précarité énergétique.

Des crises qui se superposent

C’est donc sur fond de ces difficultés déjà bien installées dans la population que la hausse des tarifs des énergies (et des carburants) a frappé ceux qui l’étaient déjà, mais aussi étendu les dégâts à d’autres. La crise sanitaire et les inondations de juillet dernier avaient déjà touché de nombreux Belges; la crise énergétique, d’abord liée à la reprise économique post-Covid et ensuite à la guerre en Ukraine, se superpose à cette situation et pourrait durer.

S’il existait déjà une série de mesures pour venir en aide aux «précarisés énergétiques» (statut de client protégé, tarif social fédéral, régional, possibilité de conclure des plans de paiement avec son fournisseur, aides des CPAS), de nouvelles mesures ont été prises, avec l’élargissement du tarif social, mais aussi des aides exceptionnelles, comme la réduction de la TVA sur l’électricité et maintenant le gaz ou encore des chèques mazout… Des aides qui viennent à point nommé, même si elles viennent tard et sont controversées (voir article p. 17-18). Quoi qu’il en soit, cette crise de l’énergie est amenée à se prolonger et préfigure pour certains les conséquences d’une transition écologique impréparée.

Des difficultés présentes et/ou à venir?

Selon un article de L’Écho[1], en un an et demi, les fournisseurs d’énergie ont traité près d’un million de dossiers de report de paiement ou de plans d’étalement (922.000 pour une valeur de 572 millions d’euros). Mais les chiffres concernent la période entre le début de la pandémie et le 15 septembre 2021. Ils ne tiennent donc pas compte des prix vertigineux atteints à la fin de l’année 2021.

Si, pour un certain nombre de personnes, les factures de régularisation qui répercutent les hausses de prix de l’énergie sont tombées ces derniers mois et font mal, surtout si les factures intermédiaires n’avaient pas été réévaluées, il faut un rien tempérer la situation cataclysmique que l’on présente aujourd’hui. En effet, deux tiers des ménages bénéficient de contrats fixes pour leur énergie et sont donc protégés des fortes hausses, tant que leur contrat n’est pas encore arrivé à échéance. Étant donné que les fournisseurs ne proposent plus aucun contrat fixe pour l’instant, il est sûr que les nouveaux contrats qui seront négociés seront nettement moins favorables et pourraient affecter de nouveaux ménages qui ne l’étaient pas jusqu’ici.

Autre public relativement épargné: tous ceux qui bénéficient du tarif social. Comme le relevait Jan Willems, coordinateur du service de médiation de dettes et énergie du CPAS de Bruxelles-Ville, interrogé par la RTBF, «on sait que les premiers qui seront confrontés à une importante augmentation de leur facture d’énergie, ce ne sont pas les personnes en situation précaire, qui ont le statut BIM, qui bénéficient du tarif social, mais il y a tout ce nouveau public qui, on l’espère, ne laissera pas pourrir la situation. On espère qu’ils trouveront le chemin jusqu’au CPAS»[2]. Le risque est en effet que les travailleurs à très faibles revenus et la classe moyenne inférieure n’osent pas franchir les portes du CPAS à qui l’État et les Régions ont pourtant alloué des sommes importantes pour leur venir en aide, via le Fonds Énergie.

Des aides et des conseils

Pour savoir comment les choses se déroulent au sein des services de médiation de dettes, dans des dossiers où les personnes sont déjà concernées par des problèmes d’endettement, nous avons contacté le CPAS de Charleroi. Véronique Pisano, responsable du SMD, nous a expliqué le mode opératoire lorsque son service est contacté pour des problèmes de paiement de factures d’énergie: «Nous traitons les demandes au niveau du SMD lorsqu’elles concernent des personnes engagées dans une médiation de dettes amiable auprès de notre service et dont les moyens ne dépendent pas du CPAS (salariés, chômeurs, sur la mutuelle, indépendants…). Lorsque la personne concernée touche un revenu d’intégration ou une aide sociale, ces demandes en matière d’énergie sont transférées auprès des services de première ligne. En fonction d’une analyse du budget et des circonstances de la demande, il y aura par exemple intervention dans le paiement de la facture de régularisation. On aide aussi les personnes à conclure un plan de paiement ou obtenir un report de paiement auprès de leur fournisseur. Le fait de bénéficier du tarif social permet également de réduire les coûts de l’énergie de près de 30%. Pour l’instant, nous n’avons pas encore trop de gros dossiers avec des régularisations importantes.»

Les personnes qui ne sont pas en médiation de dettes, mais en difficulté pour payer leurs factures d’énergie ou de carburant sont renvoyées vers la Maison de l’Énergie. Cette structure centralise les services relatifs à l’aide matérielle et financière en matière d’énergie et regroupe aussi la cellule des tuteurs d’énergie, Charleroi éco-énergie, la permanence énergie ou encore le Fonds social Mazout. Outre les aides financières, on y trouve des aides et des prêts pour améliorer le logement, des conseils pour diminuer la consommation et l’utilisation rationnelle de l’énergie. Pour Yves Peigneur, responsable de la Maison de l’Énergie, «on reçoit depuis la crise sanitaire plus de demandes de personnes qui n’arrivent plus à couvrir leurs frais d’énergie et cette tendance reste soutenue, malgré l’arrivée des beaux jours. On évalue leur état de besoin et, le cas échéant, on intervient. On examine aussi si le tarif social et le statut de client protégé peuvent s’appliquer ou encore la protection régionale conjoncturelle qui permet de bénéficier du tarif social pendant un an. Cela dit, il y a tout de même deux tiers des personnes qui bénéficient d’un contrat fixe, donc on n’assiste pas encore à l’explosion des demandes annoncée. Mais l’arrivée à l’échéance de ces contrats risque d’envenimer les choses».

Dans le cadre des procédures de RCD, il y a aussi des demandes pour la prise en charge des factures de régularisation. Dominique Moineaux, président du tribunal du travail du Hainaut, confirme cette situation et invite les médiateurs de dettes à intervenir sans passer par la case tribunal. «En effet, il n’est pas nécessaire de demander une autorisation spéciale pour la prise en charge de ces factures. En revanche on va sûrement être confrontés à des demandes de révision de plans, car l’inflation et les coûts de l’énergie risquent de rendre difficile le maintien des budgets. Il faudra également en tenir compte pour l’élaboration des nouveaux plans.»

Nathalie Cobbaut

[1] Christine Scharff, «Un million de report de paiement pour les factures de gaz et d’électricité», L’Écho, 7 janvier 2022.

[2] Miguel Allo, «CPAS, associations… Petit tour d’horizon des aides pour amortir le choc de la facture de gaz et d’électricité», 8 février 2022, sur le site de la RTBF: https://bit.ly/3IlGqaH.