Vacances j’oublie tout…: qui finance ?

 

Les vacances sont devenues en quelques décennies un incontournable. Avec les congés payés, adoptés chez nous le 27 juin 1936, c’est une grande part de la population qui a accès aux loisirs et aux vacances. De six jours en 1936 à quatre semaines par an pour un travailleur salarié aujourd’hui, ce laps de temps est là pour décompresser, se reposer, se requinquer pour reprendre le travail en pleine forme. C’est devenu la norme, même si, pour certains, cet objectif est inaccessible, faute de moyens.

Chaque année, Europ Assistance publie son baromètre des vacances, et les résultats 2018 ont été publiés, il y a peu. Le but de cette enquête annuelle réalisée par Ipsos vise les intentions de voyage des Européens, leurs motivations, les destinations, le budget et les types de séjours privilégiés. Cette enquête a été menée auprès de 16.000 personnes en Europe, aux États-Unis, au Brésil en Inde et en Chine[1].

Des résultats spécifiques ont été publiés pour la Belgique et donnent un aperçu assez complet des intentions de vacances des Belges: 63% des Belges déclarent qu’ils partiront en voyage cet été, soit une augmentation de 3% (par rapport à 2017 qui avait connu une hausse de 13%). Cela représente donc une proportion importante de la population belge. Il est à noter que les chiffres belges sont dans la moyenne européenne (64%). Cette année, on constate aussi une baisse des intentions de vacances de courte durée de maximum une semaine (42%, -3%) et une hausse des intentions de vacances de trois semaines et plus (23%, +3%).

Un budget «vacances» assez important

Autre donnée intéressante: le budget «vacances» moyen des Belges pour 2018 est de 2.318 euros. Il s’agit d’une moyenne, ce qui ne veut évidemment pas dire que chaque foyer va dépenser une telle somme, et de loin! Mais l’on peut néanmoins remarquer que la Belgique se classe 4eparmi les dix pays européens sondés. L’augmentation du budget touche tant les néerlandophones (2.177 euros, soit une hausse de 7%) que les francophones (2.459 euros, soit plus 5%). Il est cependant remarquable que le budget des Flamands soit inférieur à celui consacré pour ce même item par les francophones, alors que le pouvoir d’achat dans la partie néerlandophone du pays est plus élevé[2].

Visiblement ce budget vacances fluctue selon les années: l’an dernier, il était inférieur de 10% (soit 2.179 euros de budget familial moyen, avec 2.030 euros pour les néerlandophones et 2.328 euros pour les francophones). Selon Xavier Van Caneghem, analyste marketing chez Europ Assistance Belgique, «il existe une corrélation entre les dépenses pour le budget vacances et la situation économique: selon nos baromètres qui ont suivi la crise économique de 2008, avec un certain effet-retard, les budgets pour les vacances ont eu tendance à se réduire». Les chiffres d’intentions de vacances pour les Belges qui étaient de 63% en 2008 ont commencé à décroître de manière significative en 2012 (59%), en 2013 (49%) et en 2014 (47%). Idem pour les montants y consacrés.Cela étant, il ressort du Baromètre de 2016 que 34% des personnes interrogées exprimaient l’intention de ne pas réduire leur budget affecté aux vacances, même en cas de situation économique moins favorable.

Quel financement?

Difficile de savoir précisément comment les Belges financent leurs vacances. Tout dépendra des revenus des personnes et des priorités que chacun définira dans le cadre de la gestion de son budget. Dans une étude sociologique consacrée aux vacances de Français, dont certains enseignements peuvent également s’appliquer à la Belgique, l’auteur «constate, entre 1967 et 1995, un creusement des écarts dans le budget consacré aux vacances entre chaque niveau hiérarchique: ouvrier/employé, employé/cadre moyen, cadre moyen/cadre supérieur. Ces écarts sont redoublés par la fréquence, la diversité et la qualité des départs. Ainsi, les cadres et professions intellectuelles supérieures partent presque quatre fois plus que les ouvriers et deux fois plus que les employés. Lorsqu’il s’agit de voyages à l’étranger en dehors de la famille proche, les (mêmes) cadres et professions intellectuelles supérieures partent six fois plus que les ouvriers et trois fois plus que les employés. On trouve des différences tout aussi fortes en regardant uniquement le niveau de revenus[3]».Ces chiffres déjà anciens révèlent néanmoins de grandes disparités en termes de fréquence et par voie de conséquence de budget consacré par les uns et les autres à ce poste vacances. Avec le maintien de montants élevés pour ce poste dans le chef des plus hauts revenus, les bas salaires étant davantage impactés par la hauteur de leurs revenus pour leurs projets de vacances et en fonction également de la situation économique.

Pour ce qui est des moyens de financement des vacances, il y a bien sûr les pécules de vacances des travailleurs salariés, le simple pécule qui représente le montant de la rémunération maintenu pendant les jours de congé et le double pécule qui est un supplément en sus du salaire mensuel perçu par l’employé et qui représente 92% du salaire brut. Ce double pécule est payé entre le 2 mai et le 30 juin de l’année des vacances. Du côté des indépendants, le fait de prendre des vacances devra être anticipé sur le plan financier car l’interruption de l’activité pour un départ en vacances ne sera couverte par aucun pécule.

Autre source de financement des vacances: l’épargne. Comme pour d’autres types de dépenses annuelles, le fait de mettre de côté chaque mois un certain montant afin de couvrir les frais inhérents aux vacances (déplacements en voiture, en train, avion ou bateau, frais de location ou d’hôtels, nourriture, loisirs annexes) semble une solution appropriée à une dépense somme toute somptuaire, même si elle semble faire partie des priorités des Belges.

Un crédit pour le bout du monde

Même si cela semble ne pas forcément le moyen le plus pertinent au regard d’une gestion prudentielle d’un budget, le crédit semble également être une manière de financer ses vacances. Lorsque l’on tape les mots clefs «vacances» et «crédit» sur un moteur de recherche, on trouve en tout cas de nombreuses offres sur les sites d’organismes financiers. «Abracadabra vous êtes en vacances», nous clame Auxifina. «Des rêves de vacances, des vacances de rêve» chez Belfius, «Prêt perso vacances: pour profiter pleinement de ses congés» à la mode Sonfinco: les propositions sont multiples. Le site comparatif de crédit simulationpret.be vous invite à comparer les offres de crédit vacances pour financer vos prochaines vacances, avec les prêts vacances au meilleur taux en Belgique.

Les offres de crédit pour des projets de ce type ressortissent généralement à la catégorie des prêts personnels ou des ouvertures de crédit, pour lesquels il n’est pas forcément demandé au candidat emprunteur de spécifier la destination du crédit. Il est donc difficile de quantifier le volume des crédits à la consommation qui seraient accordés par les prêteurs pour des vacances. Interrogée par nos soins, Febelfin, la Fédération belge des banques, nous a fait savoir que, hormis pour les crédits attribués pour l’achat d’un véhicule neuf ou d’occasion, des travaux de rénovation ou visant des économies d’énergie, elle ne demande pas à ses membres de ventilation plus précise. Les détails demandés concernant le volume de prêts vacances consentis par les prêteurs ne sont donc pas disponibles.

Autre moyen de financer ses vacances à crédit: l’utilisation de sa carte de crédit pour ce type de dépenses ou encore, comme le conseille un site comparatif de prêts français, l’utilisation du découvert bancaire dont les taux sont parfois plus avantageux qu’un crédit.

Un package bien ficelé

On le voit, les conseils sont pour le moins orientés, en faisant parfois fi du devoir de conseil dans le chef des prêteurs pour éviter un endettement excessif, ce qui ne veut pas dire qu’une analyse du profil budgétaire n’est pas effectuée une fois la demande de crédit introduite. Certaines banques proposent aussi des comptes d’épargne vacances, ce qui semble plus raisonnable, mais aussi – de manière plus étonnante – des produits de placement comme des bons de caisse (Belfius) avec un rendement quasi nul pour un bon de caisse d’une durée d’un an (taux net de 0,04%) et plus élevé pour une durée de dix ans (0,84%).

Toujours, dans le cadre des vacances à crédit, il faut également aller fureter du côté des agences de voyages qui proposent des services «all in», jusqu’au prêt personnel ou l’octroi d’une carte de crédit, en partenariat avec un établissement de prêt, pour payer son voyage. C’est par exemple le cas de Neckermann où une télé-shoppeuse nous a vanté les mérites de la carte de crédit Neckermann, émise en collaboration avec Beobank. Carte qui peut être souscrite dans les agences du voyagiste, moyennant quelques renseignements et une carte d’identité, en même temps que l’achat d’un séjour auprès de ce voyagiste. Cette carte, si elle est utilisée pour payer les voyages, permet également d’épargner des points voyage sur un compte spécifique afin de se voir offrir un W-E en city-trip.

Idem chez TUI, avec la TUI Mastercard qui permet aussi de récolter des points pour des voyages gratuits chez TUI, si elle est utilisée pour le paiement de voyages. Côté Thomas Cook, un système de ponction automatique de la carte de crédit du client (non liée au voyagiste) en plusieurs tranches avait été mis au point, pour répondre à lademande des clients, précisait Koen Van den Bosch, le porte-parole du groupe pour la Belgique dans un article de La Dernière Heureen avril 2016. Le client payait un acompte de 35% du montant total de la réservation, le solde restant est ensuite étalé sur le nombre de mois restant jusqu’au départ et débité de la carte de crédit. En 2016, Thomas Cook annonçait que 5% de ses clients étaient concernés par une telle formule. Pourtant cette possibilité, selon l’actuelle porte-parole de Thomas Cook Belgique Leen Segers, n’existe plus aujourd’hui; le pourquoi de la suppression reste plutôt évasif.

D’autres agences de voyages encore ont leur propre système de crédit et proposent un échelonnement des paiements avant le départ, avec dans certains cas d’étranges clauses dans les contrats qui prévoient la perte sèche des sommes déjà engagées si le client n’arrive pas à suivre en termes de mensualités à honorer.

En tout état de cause, cette possibilité de financement de voyages par le crédit reste relativement discrète et les sites Internet n’affichent pas ostensiblement le recours à ce mode de financement pour se payer des vacances, qui existe pourtant bel et bien.

Une tendance inquiétante

Une enquête d’Intrum (ex-Intrum Justitia) sur le comportement de paiement du consommateur belge, réalisée auprès de 1.009 consommateurs (511 hommes et 498 femmes) et réalisée en septembre 2017, montre que 28% des Belges sont prêts à emprunter pour leurs vacances et 19% hésitent encore, ce qui représente une proportion importante de personnes prêtes à s’endetter pour ce poste budgétaire. L’emprunt se fait auprès de la famille, d’une banque ou en augmentant le plafond d’une carte de crédit.

Intrum, dans un communiqué de décembre 2017 portant sur cette enquête, faisait remarquer que «les emprunts pour les vacances rencontrent un succès croissant […]. Il est évident qu’un tel emprunt n’est généralement pas le premier emprunt de la famille. C’est la raison pour laquelle la prudence est de mise. Bien que les banques mettent en garde sur les frais liés à un emprunt, les gens continuent à emprunter, souvent en raison de la pression sociale. Un autre chiffre illustre cette tendance: un Belge sur cinq emprunte pour l’achat d’un téléviseur ou d’un système audio haut de gamme. Un paiement étalé est certes utile, mais entraîne une pression sur les charges mensuelles grevées par les factures récurrentes (téléphonie, école, énergie) auprès des groupes cibles déjà potentiellement vulnérables».

Une donnée supplémentaire qui peut représenter un risque inhérent à ce type de paiement à crédit concerne la difficulté pour certaines personnes de s’en tenir au paiement d’un prêt dont l’objet a en quelque sorte cessé d’exister. Certains médiateurs de dettes, comme Léa Grégoire qui travaille pour le service Gréasur qui prend en charge les services de médiation de dettes pour plusieurs CPAS dans la région de Floreffe, constatent que les personnes endettées qui doivent par exemple s’acquitter d’un prêt pour une voiture qui d’une certaine manière n’existe plus (à la suite d’un sinistre, d’une saisie ou d’une revente dont le montant n’a pas épongé le crédit existant), éprouvent d’énormes difficultés à respecter les échéances car ils n’ont plus l’usage de cette voiture et doivent néanmoins continuer à payer. Par analogie, le paiement à crédit d’un voyage «déjà consommé» pourrait s’avérer difficile.

Dans le communiqué de presse, Intrum relevait également la difficulté pour près d’un Belge sur deux de réaliser une épargne, quelle qu’elle soit. Est-ce à dire qu’il faut se tourner vers le crédit pour se payer ses vacances? On peut s’interroger sur la pertinence d’un tel mode de financement pour ce type de dépenses. Si les vacances constituent certes un incontournable, s’endetter pour un tel projet peut s’avérer un très mauvais calcul.

Nathalie Cobbaut

Prise de pouls auprès de prêteurs «alternatifs»

Pour en savoir un peu plus sur les comportements des prêteurs à propos des prêts vacances, nous avons pris contact avec l’un ou l’autre opérateur qui se situe un peu en marge des organismes traditionnels de prêts. Dont ce prêteur un peu particulier qu’est Mozzeno, qui finance des projets personnels de consommateurs en émettant des instruments financiers souscrits par d’autres consommateurs, soit du crowdlendingou prêt collaboratif. Sur le site www.mozzeno.com, il existe un onglet «Prêts Voyages et vacances». En appelant le call center de la plateforme, il a été spécifié qu’environ 40 demandes par mois étaient enregistrées pour ce type de prêts, mais seuls deux ou trois crédits sont octroyés pour un montant d’en moyenne 4.000 euros. Les remboursements sont en général d’une durée de 24 mois et les taux sont calculés en fonction du profil du candidat emprunteur, mais s’échelonnent de 5 à 9,99%, selon le risque évalué. L’analyse budgétaire pour ce type de prêts est assez fouillée sur les capacités de remboursement et la balance revenus/dépenses, les crédits en cours et bien sûr le fichage auprès de la Centrale des crédits aux particuliers.

Autre opérateur sollicité: Crédal, qui pratique le crédit social accompagné dans le cadre de son offre de microcrédit aux particuliers. Selon Geneviève Hallet, coordinatrice adjointe pour le crédit aux particuliers, «on reçoit chaque année vers avril-mai des demandes de prêts pour des vacances, mais typiquement ce sont des demandes que nous ne prenons pas en compte car ce n’est pas une bonne idée d’emprunter pour un tel objectif. C’est la voie de l’épargne qu’il faut suivre. Les gens qui s’adressent à nous sont souvent des allocataires sociaux et, selon nous, il vaut mieux garder sa capacité pour d’autres projets. Les vacances ne sont pas pour nous une priorité. Il est arrivé que nous octroyions très exceptionnellement un prêt pour un voyage visant à visiter la famille qui vit dans un pays éloigné (en général, en Afrique) mais c’est extrêmement rare et notre politique est de ne le permettre qu’une seule fois. Cela ne doit pas devenir une habitude». Cela ne veut pas dire pour autant que les emprunteurs chez Crédal ne partent pas en vacances: «On enregistre souvent des retards d’une mensualité d’un prêt concédé pour d’autres fins à la suite des vacances. On peut imaginer que l’argent a sans doute été dépensé dans le cadre de vacances, mais ce n’est pas une certitude. En tout cas, comme l’accompagnement est assez serré, les emprunteurs sont invités à résorber leur retard.»

NCT

[1]Europ Assistance, 18eBaromètre des vacances d’Europ Assistance, mai 2018, dossier de presse accessible sur le site https://bit.ly/2J9Qqcy

[2]Philippe Defeyt, «Les revenus des Belges: les trois régions et le Royaume – 1995-2015», juillet 2015, accessible sur le site de l’Institut du développement durable: http://www.iddweb.eu/docs/RevBelges2015.pdf

[3]Bertrand Réau, Les Français et les vacances. Sociologie des pratiques et offres de loisirs, Éditions CNRS 2011, p. 173-174.