Attention , jurisprudence fraîche ! (avril-juin 2018)

 

RCD

Attention, jurisprudence fraîche!

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles, en l’occurrence en degré d’appel. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

 

Tribunal d’arrondissement de Liège, 22 mars 2018, RG 18/7/E

Le tribunal d’arrondissement (tribunal exclusivement chargé de trancher les questions de procédure) déclare que le tribunal du travail ne possède pas une compétence universelle pour toute question relative à un débiteur en règlement collectif de dettes. Une procédure d’opposition à saisie peut exister parallèlement au RCD et sera réglée devant le juge des saisies.

La question posée au tribunal d’arrondissement est la suivante: une opposition réalisée par un débiteur en RCD à une saisie-arrêt exécution diligentée par un tiers à la procédure en RCD relève-t-elle de la compétence du juge des saisies ou du tribunal du travail?

Le tribunal d’arrondissement rappelle que la compétence du tribunal du travail en matière de RCD, définie par l’article 578, 14° du Code judiciaire, est une compétence exclusive. Cela signifie qu’elle tient en échec la compétence générale du tribunal de première instance. Cependant, exclusifne signifie pas qu’il faille considérer que le tribunal du travail aurait une compétence «universelle» pour toutes questions qui touchent de près ou de loin le RCD.

Le tribunal redéfinit, de manière certes non exhaustive, les actes en matière de RCD relevant de la compétence exclusive du tribunal du travail, dont notamment la réalisation d’un élément du patrimoine (par exemple: la vente d’un immeuble) durant la procédure en RCD. Ainsi, cette vente de l’immeuble relève de la compétence du tribunal du travail dès lors qu’il ne s’agit en aucun cas d’une forme d’exécution puisqu’elle ne peut être exigée par un créancier et n’a lieu qu’en vertu d’un accord ou de l’exécution d’un plan de règlement. En effet, l’un des effets de l’admissibilité à la procédure en RCD est la suspension des voies d’exécution qui tendent au paiement d’une somme d’argent.

Le juge des saisies est quant à lui exclusivement compétent, en vertu de l’article 1395 du Code judiciaire, pour toutes les demandes qui ont trait aux saisies conservatoires et aux voies d’exécution à l’exception de l’hypothèse d’une mainlevée de saisie pratiquée avant l’octroi du sursis de paiement dans le cadre d’une procédure en réorganisation judiciaire (PRJ) (tribunal de commerce).

«Dans la mesure où le juge des saisies a une compétence générale, d’ordre public, en matière d’exécution, à laquelle il n’est pas dérogé expressément, la saisine permanente dont bénéficie le tribunal du travail ne vaut que pour les matières relevant de sa compétence.»

En l’espèce, le Code judiciaire ne contient aucune exception octroyant une compétence en matière d’exécution au tribunal du travail. Bien que cette saisie-arrêt exécution puisse avoir une incidence sur l’évolution de la procédure (tout comme une liquidation de communauté ou une action en obtention de part contributive), cette revendication n’entre pas dans le champ d’application des difficultés qui entravent l’élaboration ou l’exécution d’un plan de règlement ou des difficultés relatives à la réalisation d’immeubles en vertu de l’article 1675/14bis du Code judiciaire.

Le tribunal d’arrondissement conclut donc que la demande relève de la compétence exclusive du juge des saisies bien que le requérant soit en RCD. En tout état de cause, considérer l’inverse risquerait de créer une discrimination injustifiée entre un justiciable qui intente une action en revendication lorsque le débiteur est en RCD et celui qui l’intente alors que le débiteur n’est pas en RCD, puisque seul ce dernier aurait accès au juge spécialisé.

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Cour de cassation (3ech.), 19 mars 2018, S.17.0038.F

La sanction prévue par l’article 1675/9 du Code judiciaire est une sanction à part entière qui n’est ni une déchéance ni une nullité. Tout retard de déclaration, peu importe qu’il soit minime ou qu’il n’entrave pas réellement la procédure, engendrera une déchéance du droit d’agir jusqu’au rejet ou à la révocation de la procédure.

Le créancier hypothécaire forme un contredit à l’encontre du projet de plan de règlement amiable adressé aux parties dans la mesure où il y est indiqué qu’il renonce à sa créance compte tenu de la communication tardive de sa déclaration.

La cour du travail de Mons rejette le contredit et homologue le plan. Il déclare la créance du créancier hypothécaire tardive au regard du délai prévu par l’article 1675/9 du Code judiciaire. En effet, la demanderesse n’a pas introduit sa déclaration de créance dans le délai légal de quinze jours à compter de la réception de l’avertissement du médiateur de dettes. La déclaration est parvenue au médiateur avec sept jours de retard.

La cour ajoute que le simple fait que la créance était renseignée dans la requête introductive d’instance ne dispense pas le créancier de communiquer sa déclaration dans les délais prévus d’autant que la créance a pu évoluer entre le dépôt de la requête et l’admissibilité.

Enfin, la cour affirme que l’article 861 du Code judiciaire ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce pour couvrir la sanction dès lors que le délai n’est pas prévu à peine de nullité mais bien à peine de déchéance.

Le créancier hypothécaire conteste la décision rendue par la cour du travail de Mons et introduit un pourvoi en cassation. Il développe les moyens suivants:

  • L’objectif de l’article 1675/9 du Code judiciaire est uniquement de permettre au médiateur de connaître la nature de la créance, sa justification, son montant en principal et intérêts ainsi que les procédures auxquelles elle donnerait lieu. La loi n’écarte pas la possibilité d’apporter autrement les informations à la connaissance du médiateur, notamment par le biais de la requête en RCD;
  • Le délai prévu par l’article 1675/9 du Code judiciaire n’est pas prescrit à peine de déchéance, mais bien à peine de nullité. Dès lors, en vertu de l’article 861 du Code judiciaire, le non-respect du délai n’est sanctionné que s’il nuit aux intérêts de celui qui l’invoque. Or, la déclaration est rentrée quelques jours en retard, ce qui n’a pas perturbé la procédure;

La Cour de cassation, sur la base d’une argumentation détaillée répondant à chacun des moyens invoqués, rejette le pourvoi introduit par le requérant.

La Cour rappelle le prescrit de l’article 1675/9 du Code judiciaire. Le texte est clair: «[…] [le créancier] dispose d’un dernier délai de quinze jours, à compter de la réception de cette lettre, pour faire cette déclaration. Si la déclaration n’est pas faite dans ce délai, le créancier concerné est réputé renoncer à sa créance. Dans ce cas, le créancier perd le droit d’agir contre le débiteur et les personnes qui ont constitué pour lui une sûreté personnelle. Il récupère ce droit en cas de rejet ou de révocation du plan.»

Il est établi et non contesté que la requérante n’a pas introduit sa déclaration dans le délai légal. La circonstance que les informations relatives à une créance soient mentionnées dans la requête introductive de la procédure en RCD ne dispense pas le titulaire de cette créance de faire une déclaration de créance selon le mode et dans les délais prescrits par l’article 1675/9, §§ 2 et 3 du Code judiciaire.

La Cour analyse ensuite le deuxième argument avancé par le requérant et infirme cette théorie. En effet, le délai de l’article 1675/9 § 3 du Code judiciaire n’est ni un délai prescrit à peine de déchéance ni un délai prescrit à peine de nullité. Dès lors, les articles 861, 864 et 865 du Code judiciaire apportant des exceptions aux sanctions prévues ne sont pas applicables à la sanction spécifique prévue par l’article 1675/9, §3 du Code judiciaire.

Par cet arrêt, la Cour affirme clairement que la sanction en question est une sanction à part entière qui n’est ni une déchéance ni une nullité et que le régime les concernant est inapplicable en l’espèce. Tout retard de déclaration de créance, peu importe qu’il soit minime ou qu’il n’entrave pas réellement la procédure, engendrera une déchéance du droit d’agir jusqu’au rejet ou à la révocation de la procédure.

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Tribunal du travail du Brabant wallon, division Nivelles, 17 janvier 2018, RG 15/124/B

Malgré l’absence de contredit explicite, le tribunal refuse l’homologation d’un plan de règlement amiable à la suite du contrôle de légalité et d’opportunité qu’il effectue.

Le tribunal du travail du Brabant wallon, division Nivelles, est saisi d’une demande d’homologation de deux plans de règlement amiable. Deux époux, ayant introduit conjointement une requête en RCD, se sont séparés en cours de procédure. Par conséquent, le médiateur a rédigé deux projets de plans de règlement distincts adressés pour homologation au juge à deux mois et demi d’intervalle.

Il est rappelé que le juge dispose d’un contrôle de légalité et d’opportunité qui porte sur les éléments suivants: respect des règles d’ordre public, respect des objectifs de la procédure en RCD, caractère complet du plan, respect des règles de procédure. Dans le cadre de son contrôle, il émet, entre autres, les observations suivantes:

  • il soulève qu’il paraît difficilement conforme à l’objectif de la procédure de prévoir une durée de plan de cinq ans pour un endettement de 700.000 € alors que les retenues sont dérisoires de sorte que le remboursement total est estimé à 5% des sommes;
  • il estime que les charges de Monsieur sont surévaluées;
  • il reproche aux parties un manque de transparence de leurs revenus notamment par le fait d’avoir remplacé la part contributive des enfants par une contribution en nature;
  • l’accord obtenu par le créancier principal pose question dès lors qu’il semble l’avoir assorti de la condition suivante: «Il est entendu que XXX conservera tous les droits réels et personnels contre les parties intervenues aux actes, à savoir Madame. Cette dernière restera tenue au paiement de l’intégralité du solde restant dû», condition qui n’est pas reprise dans le plan.

Par cette clause, le créancier semble marquer son accord quant au projet de plan proposé tout en préservant ses droits de récupération à l’égard de la codébitrice, à savoir Madame.

Le médiateur explique au tribunal que l’existence de cette clause ne se justifie qu’en raison du fait que le plan concernant Madame n’avait pas encore été adressé. Le créancier souhaitait préserver ses droits à son égard. Or, dans l’intervalle, le projet de plan de Madame a été adressé aux parties et accepté par elles, notamment par le créancier en question. Le médiateur estime dès lors que la réserve n’a plus lieu d’être puisque ce créancier accepte également une remise conventionnelle en faveur de la codébitrice.

Finalement, suite à l’analyse des accords transmis par les créanciers, le tribunal constate que cette même réserve est indiquée dans le courrier d’accord du créancier relatif au plan de règlement amiable concernant Madame: «Il est entendu que XXX conservera tous les droits réels et personnels contre les parties intervenues aux actes, à savoir Monsieur. Ce dernier restera tenu au paiement de l’intégralité du solde restant dû.»Et ce, malgré l’acceptation antérieure d’une remise conventionnelle de dettes à l’égard de Monsieur.

Compte tenu de ces éléments, le tribunal estime «qu’une telle réserve fait obstacle à ce que le créancier concerné puisse être considéré comme ayant exprimé un accord sans réserve sur des plans de règlement prévoyant la remise de la totalité des dettes en principal subsistant au terme du plan». Outre que le tribunal estime que les plans amiables ne sont pas conformes aux objectifs de la procédure, il estime surtout que les «accords» du créancier principal sont tout à fait ambigus… En conséquence, il ne peut homologuer le plan proposé et invite le médiateur à reprendre sa mission.

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Cour de cassation (3ech), 12 février 2018, S.17.0047.N

La Cour de cassation réaffirme l’interprétation à donner à l’article 1675/2, al. 3 du Code judiciaire relative à la sanction du délai de cinq ans pour introduire une nouvelle demande en RCD en cas de révocation.

Un pourvoi en cassation est interjeté contre l’arrêt de la cour du travail d’Anvers. Le débat porte sur l’interprétation de l’article 1675/2, al. 3 du Code judiciaire lequel stipule: «La personne dont la procédure de règlement amiable ou judiciaire a été révoquée en application de l’article 1675/15, § 1er, ne peut introduire une requête visant à obtenir un RCD, pendant une période de cinq ans à dater du jugement de révocation.»

La cour d’appel d’Anvers a estimé qu’une distinction doit être faite quant à l’application de la sanction interdisant l’introduction d’une nouvelle requête pendant une période de cinq ans. En effet, la cour a jugé que cette sanction n’a pas vocation à s’appliquer lorsque la révocation est prononcée avant l’établissement d’un plan de règlement amiable ou judiciaire. En d’autres termes, la révocation qui interviendrait pendant la phase préparatoire du plan n’aurait pas pour conséquence d’interdire au débiteur d’introduire une nouvelle requête en RCD avant un délai de cinq ans.

La Cour de cassation casse l’arrêt attaqué affirmant que ce raisonnement ne peut être valablement justifié en droit, compte tenu de la modification législative intervenue le 14 janvier 2013. Cette loi a remplacé les termes «plan de règlement» par «procédure de règlement amiable ou judiciaire» de telle sorte que la sanction du délai de cinq ans s’applique tant à la révocation de la décision d’admissibilité qu’à la révocation d’un plan de règlement amiable ou judiciaire.

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Eléonore Dheygere,
juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement