Attention jurisprudence fraîche ! (octobre-novembre-décembre 2016)

RCD

Attention, jurisprudence fraîche!

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles issues de différentes juridictions francophones. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

CT Liège (division de Liège, 5e ch.), 9 août 2016, RG n°2016/AL/267

S’il peut se plaindre légitimement de ce que les droits de la défense et le principe contradictoire ont été gravement violés à son détriment, le médiateur de dettes dispose d’un recours contre la réduction non fondée de sa demande de taxation de ses frais et honoraires, même lorsque la décision de taxation ne fait pas partie d’un jugement homologuant un plan de règlement amiable ou arrêtant un plan de règlement judiciaire.

Le médiateur de dettes demandait la taxation de l’état de frais et honoraires qu’il avait joint à un rapport annuel. Le tribunal du travail a taxé cet état, mais en réduisant le montant revendiqué par le médiateur de dettes.

En effet, une annotation manuscrite apposée sur l’état a révélé que le tribunal avait rejeté la somme comptabilisée par le médiateur au titre des frais de correspondance ordinaire au motif qu’aucune justification ne figurait dans le rapport en question.

L’article 4.1 de l’arrêté royal du 18 décembre 1998 établissant les règles et tarifs relatifs à la fixation des honoraires, des émoluments et des frais du médiateur de dettes permet au médiateur de dettes de réclamer un forfait de 11,82 euros (montant applicable au 1er janvier 2013) par courrier ordinaire.

Le médiateur a formé appel contre cette décision.

La cour du travail déclare son appel recevable, même si l’article 1675/19, §3 du Code judiciaire prévoit que les décisions relatives aux demandes de taxation de frais et honoraires qui ne s’intègrent pas dans un jugement homologuant un plan de règlement amiable ou arrêtant un plan de règlement judiciaire ne sont susceptibles ni d’opposition ni d’appel.

Pour la cour, il s’agit en effet d’un appel-nullité.

«L’appel-nullité restaure un droit d’appel, pourtant interdit par la loi, lorsque la décision est atteinte d’un vice grave.»

La Cour de cassation avalise le concept d’appel-nullité en matière d’exécution provisoire lorsque la décision querellée a été rendue en violation des droits de la défense (cass., 1er avril 2004, Pas., 2004, I, p. 557).

Le respect des droits de la défense englobe le principe du contradictoire.

Le droit à un procès équitable emporte notamment le respect du caractère contradictoire de la procédure.

Chaque partie doit en principe avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires à sa défense et au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer la décision du tribunal.

Le juge doit respecter lui-même le principe du contradictoire (A. Fettweis, «le rôle actif du juge balisé par le principe dispositif et le respect des droits de la défense», in Au-delà de la loi? Actualités et évolutions des principes généraux du droit, Anthémis, 2006, p. 153-154).

Le concept d’appel-nullité est évoqué par la cour du travail de Liège en matière de règlement collectif de dettes (cour trav. Liège, 8 juin 2010, Rev. not. b., 2011, liv. 3049, p. 152).

Or, la cour du travail considère qu’en l’espèce, les droits de la défense du médiateur de dettes ont fait l’objet d’une violation grave, étant donné que:

  • «le (tribunal du travail) n’a sollicité du médiateur de dettes aucune précision, ni justification écrite»;
  • «le greffe du tribunal a pris le temps d’adresser au médiateur un courrier qui concerne la date de dépôt de son premier rapport annuel mais n’a épinglé aucune exigence relative au contenu du rapport et, en particulier, aux frais de correspondance ordinaire»;
  • «le (tribunal du travail) n’a pas fait usage de la faculté légale de délivrer un titre exécutoire pour une provision ou d’entendre les observations du médiateur avant de prendre une décision», faculté prévue par l’article 1675/19, §3 du Code judiciaire.

La cour du travail ajoute que «le principe du contradictoire n’a pas été respecté:

  • le tribunal (a) appliqué une jurisprudence dont il n’est nullement établi qu’elle ait été portée à la connaissance du médiateur d’une quelconque manière;
  • cette jurisprudence est contraire à l’enseignement de la Cour de cassation (cass., 29 février 2008, C.06.0633.F, juridat.be);
  • aucune possibilité de défense n’a été offerte au médiateur».

Pour le surplus, la cour du travail déclare l’appel fondé et met à néant la décision du tribunal du travail de réduire l’état de frais et honoraires du médiateur.

La décision en PDF: C.T. Liège (division Liège, 5ème ch.), 09.08.2016, RG n 2016-AL-267

CT Bruxelles (12e chambre extraordinaire), 12 juillet 2016, RG n°2016/BB/18, et CT Bruxelles (12e chambre), 11 octobre 2016, RG n°2016/BB/22

Le fait pour un requérant en règlement collectif d’avoir perçu indûment des revenus de remplacement ne doit pas nécessairement conduire à une décision de non-admissibilité. Tout est affaire de circonstances. C’est ce qu’illustrent deux arrêts de la cour du travail de Bruxelles.

  1. Dans la première espèce, le requérant avait travaillé comme salarié avant de bénéficier d’indemnités de l’assurance maladie-invalidité. Ces indemnités lui étaient à présent réclamées au motif que le contrat de travail aurait été fictif et que l’employeur n’aurait pas versé de cotisations sociales. Il avait fait faillite. L’endettement du requérant était principalement constitué par la créance de la mutualité P.

Le tribunal du travail avait déclaré la demande de règlement collectif de dettes non admissible en relevant que le requérant était considéré «avoir été complice de la fraude en sorte qu’il ne pouvait accabler le seul employeur», «ne semblait pas avoir contesté la décision de P.», «ne précisait pas l’utilisation des allocations sociales irrégulièrement perçues» et «ne manifestait pas une volonté de remboursement, se limitant à demander le bénéfice de la procédure après avoir été invité à rembourser ses dettes».

La cour du travail a pris le contrepied du premier juge et, réformant la décision de celui-ci, a déclaré la demande admissible.

En effet, elle a tout d’abord rappelé que

  • «l’origine infractionnelle – ou/et, comme en l’espèce, éventuellement frauduleuse – de l’endettement ne constitue pas ipso facto un motif de refus d’admissibilité pour cause d’organisation d’insolvabilité: la nature des dettes n’a pas d’influence sur la possibilité de solliciter le bénéfice de la procédure en règlement collectif de dettes»;
  • l’admissibilité «n’est pas davantage subordonnée à la capacité de remboursement des dettes»;
  • cependant, «la bonne foi procédurale est requise dès le dépôt de la requête en admissibilité» et «toute la procédure de règlement collectif de dettes est caractérisée par un contrôle permanent», raisons pour lesquelles «il n’y a pas d’admissibilité possible en cas d’organisation manifeste d’insolvabilité ou en cas de manquement à l’obligation de transparence patrimoniale» et, en particulier, «pour les débiteurs qui tentent d’échapper à leurs condamnations et obligations»;

toutefois, les manquements à la bonne foi procédurale et à l’obligation de transparence patrimoniale «doivent être établis».

La cour considère ensuite que «la phase d’admission à la procédure requiert l’urgence vu les effets qui s’attachent à une décision d’admission et pour favoriser au mieux les objectifs légaux précisés par l’article 1675/3, al. 3 du Code judiciaire. Le corollaire de la célérité procédurale est le caractère marginal du contrôle du juge lors de cette première phase».

Elle conclut qu’en l’espèce, les indemnités indûment perçues avaient été utilisées par le requérant pour subsister et qu’il n’y avait aucun indice laissant soupçonner qu’il les aurait thésaurisées de manière frauduleuse. Les décisions de l’ONSS, de l’INAMI et de la mutualité et les enquêtes les sous-tendant n’étant pas connues et le ministère public n’ayant pas requis la communication de l’affaire, il convenait de statuer en l’état sans attendre.

  1. Dans la seconde espèce, le requérant aurait travaillé comme salarié au bénéfice de deux sociétés qui, en réalité, n’employaient personne dans les secteurs d’activité renseignés par le requérant. Il aurait ensuite perçu des allocations de chômage jusqu’à ce que l’Onem l’exclue du droit à ces allocations pour 52 semaines et réclame le remboursement des allocations indûment versées au motif que le requérant aurait volontairement et frauduleusement déclaré des prestations qu’il n’avait pas exécutées. À ce moment, le requérant avait bénéficié du revenu d’intégration avant de pouvoir à nouveau percevoir des allocations de chômage. Son endettement était principalement constitué par la créance de l’Onem.

Le tribunal du travail avait déclaré la demande de règlement collectif de dettes non admissible, pour des motifs identiques à ceux invoqués dans le cadre de la première espèce.

La cour du travail a confirmé la décision du premier juge.

En effet, elle disposait ici de la décision de l’Onem et des décisions prononcées par le tribunal et, ensuite, la cour du travail sur le recours que le requérant avait introduit contre la décision en question.

La cour y a donc relevé que les sociétés pour lesquelles le requérant déclarait avoir travaillé «servaient à la délivrance de documents sociaux faux» et qu’«en les utilisant, le requérant avait donc agi avec une intention frauduleuse: il avait utilisé des documents sociaux pour avoir droit aux allocations de chômage en sachant que les informations contenues dans ceux-ci ne correspondaient pas à la réalité».

Elle a aussi noté que le jugement du tribunal du travail et puis l’arrêt de la cour du travail statuant sur le recours formé par le requérant contre la décision de l’Onem avaient l’autorité de la chose jugée.

Néanmoins, le requérant persistait à affirmer qu’il avait bien effectué des prestations de travail et qu’il avait été abusé par ses employeurs, mais ne pouvait prouver la réalité de ses affirmations et de ses activités professionnelles. Il manquait donc à la bonne foi procédurale exigée dès l’introduction de la procédure.

Sa requête en règlement collectif de dettes visait uniquement à entraver la procédure de recouvrement des allocations indûment perçues: elle était «l’ultime tentative pour faire organiser une insolvabilité après avoir abusé des formes légales de la solidarité sociale». Il en était d’autant plus ainsi qu’il n’avait même pas tenté d’apurer sa dette à l’amiable et n’avait pas donné suite aux invitations qui lui ont été faites dans ce sens.

Les décisions en PDF: C.T. Bruxelles (12ème ch. extr.), 12 juillet 2016, RG n2016-BB-18 et C.T. Bruxelles (12ème ch.), 11 octobre 2016 (RG 2016-BB-22)

Com. Liège (division de Liège, 3e ch.), 23 août 2016, RG n°A/15/2781

La procédure de règlement collectif avait été révoquée. Le juge du règlement collectif avait déjà décidé que les sommes se trouvant sur le compte de la médiation seraient réparties entre les créanciers et ne seraient pas versées à la requérante. Mais celle-ci avait ensuite été déclarée en faillite et le curateur revendiquait les sommes en question.

L’argumentation du curateur s’appuyait sur un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2010 suivant lequel:

«   –  ‘en vertu de l’article 16, alinéa 1er, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le failli est, à compter du jour du jugement déclaratif de la faillite, dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens, (…) et tous paiements, opérations et actes faits par le failli depuis ce jour sont inopposables à la masse;

  • aux termes de l’article 25, alinéa 1er de la même loi, le jugement déclaratif de la faillite arrête toute saisie faite à la requête des créanciers chirographaires et des créanciers bénéficiant d’un privilège général;
  • il suit de ces dispositions que le curateur à la faillite du débiteur saisi est en droit de se faire remettre par l’huissier de justice instrumentant les fonds saisis qui n’ont pas encore été distribués lors de la survenance de la faillite, soit toutes sommes non encore remises à ce moment aux créanciers bénéficiaires de la distribution’;

Par ailleurs, il invoquait la jurisprudence de la cour du travail de Bruxelles selon laquelle, «après la révocation, les sommes dont dispose le médiateur entrent dans le patrimoine du débiteur et doivent en principe lui être restituées, sous déduction des dettes de la masse ‘pour autant qu’il n’y ait pas un obstacle légal’».

Le tribunal du travail n’a pas fait droit à la demande du curateur.

En effet:

«   –      en l’espèce, (…) le tribunal du travail a (…) décidé que les fonds devaient être distribués par le médiateur aux créanciers, cela au marc le franc;

  • le tribunal (de commerce) ne peut revenir sur cette décision qui a un effet erga omnes et est définitive;
  • le cas d’espèce n’est pas (…) identique ou comparable à l’hypothèse de la saisie-exécution visée dans l’arrêt de la Cour de cassation invoqué par le curateur, dès lors que (…) le patrimoine du failli est certes indisponible (comme en cas de saisie) mais:
  • regard de la décision du tribunal du travail, il doit être considéré que les fonds litigieux étaient, depuis que le médiateur les a eus en sa possession, déjà sortis du patrimoine du débiteur et affectés aux créanciers;
  • la solution retenue par le tribunal du travail revient à considérer que l’ouverture du règlement collectif de dettes a eu pour effet la cristallisation du droit des créanciers, dès cette ouverture, et que la distribution des fonds présents sur le compte de la médiation doit être réalisée sur la base de celle-ci, malgré la révocation du règlement collectif.»

La décision en PDF: Com. Liège (division de Liège, 3ème ch.), 23.08.2016, RG n A-15-2781

Didier Noël,
coordinateur scientifique auprès de l’Observatoire du crédit et de l’endettement