RCD: Attention jurisprudence fraîche ! (juillet-août-septembre 2019)

Voici une nouvelle livraison de décisions de justice ayant trait au règlement collectif de dettes (RCD), que nous avons sélectionnées afin d’éclairer les dernières tendances jurisprudentielles. Ces décisions ont été rassemblées avec le concours des greffes et de différents relais, comme les syndics de médiateurs de dettes, et présentées au comité de rédaction de la revue pour sélection. En voici la recension.

CT Liège (8e ch. B. – division Neufchâteau), 3 avril 2019 (RG 2019/BU/4)

La cour confirme la décision du tribunal. Le requérant ne peut pas être admis à la procédure en RCD dès lors qu’il ne répond pas aux conditions d’admissibilité[1]. Ce dernier a la qualité d’entreprise au sens de l’article I.1.1° du CDE.

Le requérant est actionnaire majoritaire d’une SPRL dont il est l’unique gérant. Il est rémunéré pour son mandat et est assujetti à la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

Le 6 février 2019, le tribunal décide de ne pas admettre le requérant à la procédure en RCD. Le tribunal constate que ce dernier a un statut d’indépendant et qu’il est donc une entreprise au sens de l’article I.1.1° du Code de droit économique (CDE). Les conditions d’admissibilité ne sont donc pas respectées.

Le requérant fait appel de cette décision. Il conteste la qualification d’entreprise attribuée à sa fonction de gérant car:

  • il n’est ni inscrit à la Banque-Carrefour des entreprises ni assujetti à la TVA;
  • ses revenus de dirigeant d’entreprise sont soumis au précompte professionnel;
  • il ne développe aucune organisation distincte à la société dont il n’est que le mandataire.

L’article I.1.1° du CDE définit l’entreprise comme «chacune des organisations suivantes: (a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant; […]». La cour développe cette définition. La notion d’organisation n’est pas une condition à la qualification d’entreprise. Une personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant est reconnue comme une organisation.

De plus, les travaux préparatoires[2] précisent la notion d’activité professionnelle à titre indépendant: «Le concept “indépendant” est l’opposé de celui de “sous les liens d’un contrat de travail” (la différence entre un indépendant et un travailleur) […]. À titre d’exemple, on peut penser à des personnes physiques qui travaillent en tant que commerçant, artisan, personne exerçant une profession libérale ou administrateur de sociétés. […]»

La cour rappelle également que le CDE énumère un certain nombre de formalités que les sociétés doivent obligatoirement accomplir contrairement aux personnes physiques qui exercent des activités d’indépendant[3]. Cette différence dans les formalités à accomplir n’a aucun impact sur la qualification d’entreprise.

La cour confirme que le requérant a bien la qualité d’entreprise au sens de l’article I.1.1° du CDE. Il est associé et mandataire actif et rémunéré de la société et exerce une activité professionnelle en tant qu’indépendant. La cour confirme donc la décision du tribunal de ne pas admettre le requérant à la procédure en RCD.

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CT Liège (7e ch. – division Namur), 9 mai 2019 (RG 2019/BN/1)

La cour confirme la décision du tribunal. La requérante ne peut pas être admise à la procédure en RCD dès lors qu’elle ne répond pas aux conditions d’admissibilité[4]. Cette dernière ne prouve pas la cessation de ses activités commerciales depuis plus de six mois et peut donc toujours être qualifiée d’entreprise au sens de l’article I.1.1° du CDE.

En plus d’une activité professionnelle principale d’infirmière, la demanderesse a exercé une activité indépendante à titre complémentaire comme tenancière de deux débits de boissons. L’un d’eux a été déclaré en faillite par jugement du 12 juillet 2018. Pour le second, la requérante a introduit une déclaration de cessation d’activités au 1er juin 2018.

Le 28 février 2019, le tribunal décide de ne pas admettre la requérante à la procédure en RCD. Le tribunal estime que la requérante peut toujours être qualifiée d’entreprise au sens de l’article I.1.1° du CDE, car elle ne prouve pas la cessation de ses activités commerciales depuis plus de six mois.

De plus, le tribunal constate plusieurs incohérences et anomalies:

  • les dettes énumérées dans la requête englobent les dettes privées et les dettes professionnelles de la requérante;
  • la déclaration de faillite du premier débit de boissons résulte de la saisie du tribunal du commerce par le SPF Finances;
  • la requérante n’a pas introduit d’aveu de cessation de paiement pour le deuxième débit de boissons;
  • le conseil de la demanderesse ne mentionne pas son rôle de curateur à la faillite pour le premier débit de boissons;
  • la requérante manque de transparence quant à sa situation financière, patrimoniale et familiale;
  • la requérante a introduit tardivement la déclaration de cessation d’activités d’indépendant complémentaire.

La cour confirme la décision du tribunal et constate que la requérante ne peut pas être admise à la procédure en RCD pour les raisons suivantes:

  • elle fait preuve d’un manque total de transparence;
  • elle a toujours la qualité d’entreprise;
  • elle a potentiellement organisé son insolvabilité.

La cour déclare donc l’appel de la requérante recevable et non fondé. Elle ordonne la communication d’une copie de cet arrêt à l’auditorat général.

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TT Hainaut (5e ch. – division de Charleroi), 11 avril 2019 (RG 12/153/B)[5]

En leur qualité de caution des engagements de leur fils à l’égard de son ancien bailleur, les demandeurs sollicitent leur décharge. Le tribunal leur octroie une décharge partielle en limitant le montant de leur engagement compte tenu de l’absence de caractère disproportionné de celui-ci.

Les demandeurs se sont portés cautions des engagements de leur fils vis-à-vis de son ancien bailleur pour la location d’un appartement (contrat de bail conclu le 30 décembre 2009).

Leur fils a rapidement accumulé des arriérés de loyers. Le 3 juin 2010, il est condamné avec ses parents au paiement de 3.727 €. Le 22 mars 2012, il est admis à la procédure en RCD et bénéficie quelque temps plus tard d’une remise totale de dettes avec période probatoire de cinq ans. Il omet cependant de mentionner cette dette au passif de la procédure.

En juin 2012, un plan d’apurement est proposé au bailleur par les parents, en leur qualité de caution. Proposition à laquelle ils n’ont finalement plus donné suite. Le bailleur a donc chargé un huissier de justice de procéder au recouvrement de sa créance. Le 27 avril 2017, les parents sont mis en demeure de payer 4.963,91 €. Le 15 septembre 2017, l’huissier leur adresse un décompte actualisé de 8.598,14 €, décompte qui sera chiffré à 8.884,53 € le 16 juillet 2018[6].

Ce n’est qu’après la reprise de l’exécution forcée du jugement de condamnation aux arriérés, le 13 octobre 2017, que la créance du bailleur est enfin déclarée et intégrée au passif du RCD pour un montant de 4.442,91 € (principal, intérêts et frais arrêtés au 22 mars 2012).

Cette déclaration de créance permet finalement aux parents d’introduire leur demande de décharge de caution devant le juge du règlement collectif de dettes le 8 août 2018.

Pour bénéficier de la décharge totale ou partielle, deux conditions doivent être réunies: la gratuité de l’engagement et le caractère disproportionné de celui-ci[7].

Le caractère gratuit de l’engagement des demandeurs n’est pas contesté. En effet, ils n’ont bénéficié d’aucun avantage direct ou indirect de cet engagement.

Pour l’appréciation du caractère disproportionné de l’engagement, le tribunal a uniquement pris en compte les ressources et les charges des demandeurs. Leur fille et leur petite-fille vivant chez eux, le tribunal a seulement admis une contribution de leur fille aux charges du logement. Dès lors, le tribunal estime que leur engagement n’est pas totalement disproportionné, car il est possible de dégager un disponible pour le remboursement partiel de la dette.

Le tribunal décide donc de décharger partiellement les parents et de limiter leur engagement à concurrence d’un montant maximal de 4.500 €.

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TT Hainaut (5e ch. – division de Charleroi), 25 avril 2019 (RG 13/637/B)

Le tribunal rappelle les principes de répartition du solde disponible sur le compte de médiation en présence de plusieurs créanciers privilégiés après un jugement de révocation.

À la suite d’un jugement en révocation, le tribunal a prononcé une réouverture des débats pour permettre au médiateur de dettes d’établir un projet de répartition du solde disponible sur le compte de la médiation en tenant compte des causes légales et conventionnelles de préférence[8].

Les créanciers concernés par cette répartition sont un organisme de mutuelle, un fournisseur d’eau, une administration communale, le Service public Wallonie et le SPF Finances.

En vue d’établir cette répartition, le tribunal recense les différentes dispositions législatives applicables en matière de créances privilégiées:

  • article 15 de la loi hypothécaire: «Le privilège, à raison des droits du Trésor public, et l’ordre dans lequel il s’exerce sont réglés par les lois qui les concernent. Le Trésor public ne peut cependant obtenir de privilège au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers»;
  • article 422 du CIR92 (Code d’impôt sur les revenus): «Pour le recouvrement des impôts directs et des précomptes en principal et additionnels, des intérêts et des frais, le Trésor public bénéficie d’un privilège général sur les revenus et les biens meubles de toute nature du redevable (sauf les navires et bateaux)»;
  • article 423 du CIR92: «Ce privilège prend rang immédiatement après celui mentionné à l’article 19.5° de la loi hypothécaire»;
  • «L’article 58 du décret du 6 mai 1999 relatif à l’établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes prévoit le même privilège général sur tous les biens meubles du redevable (sauf les navires et bateaux) pour le recouvrement des taxes, des amendes et majorations, des intérêts et des frais, qui prend rang, en vertu de l’article 59 du décret, immédiatement après celui mentionné à l’article 19.5° de la loi hypothécaire»;
  • article L3321-12 du Code de démocratie locale et de décentralisation: «Les dispositions du titre VII, chapitres 1er, 3, 4, 7 à 10 sont applicables aux taxes communales et provinciales pour autant qu’elles ne concernent pas spécialement les impôts sur les revenus»;
  • Article 14 de la loi hypothécaire: «Les créanciers privilégiés qui sont dans le même rang sont payés par concurrence.»

Par conséquent, le tribunal répartit le solde du compte de la médiation comme suit:

1°)  l’organisme de mutuelle (article 19.4°, de la loi hypothécaire) pour la totalité de sa créance;

2°)  le fournisseur d’eau (article 19.5°, de la loi hypothécaire) pour la totalité de sa créance;

3°)  le solde sera réparti au marc l’euro entre l’administration communale, le Service public de Wallonie et le SPF Finances.

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TT Brabant wallon (7e ch. – division Nivelles), 20 mai 2019 (RG 11/190/B)

Le tribunal rappelle que la décision d’admissibilité a notamment pour conséquence l’égalité des créanciers et la suspension du cours des intérêts pendant la durée de la procédure[9].

Après analyse du décompte transmis par le créancier hypothécaire, le tribunal constate qu’il comptabilise des intérêts rémunératoires après la date d’admissibilité. Le tribunal estime que le décompte produit par le créancier hypothécaire ne respecte pas les principes de la procédure en règlement collectif de dettes, à savoir l’égalité des créanciers et la suspension du cours des intérêts à la date d’admissibilité. Il invite donc le créancier hypothécaire à lui transmettre un nouveau décompte actualisé et détaillé de sa créance.

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TT Hainaut (5e ch. – division Charleroi), 11 avril 2019 (RG 10/108/B)

Le tribunal clôture la procédure en règlement collectif de dettes, rappelle quelques principes et revoit l’état de frais et honoraires du médiateur de dettes.

Le requérant est admis à la procédure en RCD le 9 avril 2010. Le 16 octobre 2014, le tribunal lui octroie un plan de règlement judiciaire qui s’est terminé le 9 novembre 2014.

Le plan terminé, une somme importante est versée sur le compte de la médiation. Le versement de cette somme résulte d’un arrêt également prononcé après le terme du plan. Le tribunal considère que cette somme ne constitue pas «un retour à meilleure fortune avant la fin du plan de règlement judiciaire»[10]. Les sommes versées après la fin du plan doivent donc être restituées au requérant.

Le tribunal rappelle également que la notion d’amende pénale n’inclut pas les frais de justice et accorde donc une remise de dettes de ceux-ci.

Le tribunal revoit l’état de frais et honoraires du médiateur de dettes. Le plan se terminant le 9 octobre 2014, aucun suivi ni contrôle n’a dû être réalisé pour les années 2015 à 2017. Le forfait sollicité pour cette période n’est pas donc dû.

Le tribunal clôture la procédure et accorde la remise des dettes déclarées et non apurées après les versements prévus.

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Christelle Wauthier,

juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

[1] Article 1675/2 CJ.

[2] Voir Chambre des représentants, 2017-2018, n°54-2828/001.

[3] Voir le livre III du CDE qui vise la liberté d’établissement, de prestation de services et des obligations générales des entreprises.

[4] Article 1675/2 CJ.

[5] Ce jugement fait l’objet d’un appel. Nous ne manquerons évidemment pas de vous informer des suites réservées à celui-ci en cas de réformation du jugement.

[6] La décision d’admissibilité entraîne la suspension du cours des intérêts. Les cautions ne bénéficient pas de cette suspension. La somme intégrée au passif du RCD de leur fils est donc arrêtée à la date d’admissibilité. Par contre, la somme réclamée aux parents du débiteur principal prend en compte des frais et des intérêts liés à la procédure de recouvrement intentée contre eux.

[7] Article 1675/16bis CJ.

[8] Voir également Cass. (3e ch.), 8 janvier 2018 (n°S.16.0031.F).

[9] Article 1675/7, §1er, CJ.

[10] Article 1675/13, §1er, dernier alinéa, CJ.